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24 août 2021 2 24 /08 /août /2021 08:57
Inès Cagnati. Génie la folle. Editions Denoël. 1976. Folio Gallimard, 1979. © Jean-Louis Crimon

Inès Cagnati. Génie la folle. Editions Denoël. 1976. Folio Gallimard, 1979. © Jean-Louis Crimon

"Elle allait dans les fermes aider aux travaux. En hiver, elle coupait les haies ou les bois, faisait les fagots. Le jeudi, j'allais avec elle. Je ramassais les petites branches, je les mettais dans les tas. On était seules. A midi, elle faisait un petit feu.

...

" Au printemps, elle bêchait les vignes, les champs de petis pois, de fèves. Je me souviens des tulipes sauvages jaunes ou rouges dans les vignes. Je les cueillais, lui en faisais des bouquets jaunes et rouges qui flétrissaient au bout des rangs. Je ramassais aussi la mâche et les poireaux sauvages, et le soir on les mangeait."

...

"En automne, on allait dans les fermes aider à l'effeuillage du maïs. On parlait après le souper. On marchait dans les chemins pleins de nuit, elle avec le falot qui la faisait ombre démesurée, moi derrière collée à son ombre et courant de toutes mes forces de peur de la perdre et de rester seule dans la nuit. Si je butais contre elle, elle disait sans se retourner : - Ne marche pas sur mes talons.

...

 

La petite Marie court sans cesse dans les pas de sa mère, celle que tout le monde appelle Génie la folle et qui travaille aux champs tout au long de chaque journée. Du poids des fatigues de ses bras donnés dans les fermes et du poids des méchancetés endurées, la mère rentre chaque soir fourbue, éreintée, épuisée, au point de n'avoir pour sa fille qu'une unique pauvre phrase à la bouche : "Ne reste pas dans mes jambes". 

Génie la folle ne dit jamais les mots d'amour ou de tendresse que Marie espère tellement fort. Eugénie, fille de bonne famille, qui a refusé de dire le nom de son violeur pour ne pas être contrainte au mariage. Chassée par sa propre mère pour avoir "déshonoré une famille respectable", Eugénie ne parle plus, ne sourit plus, ne chante plus, elle si joyeuse autrefois. Dans cette vie vide d'être trop pleine de malheurs, seul le grand-père accorde de petites attentions à Marie. Une pomme, des noix, des noisettes qu'il lui glisse en cachette dans les poches, loin du regard de la grand-mère acariâtre qui ne supporte pas la présence de l'enfant de la honte. Un beau jour, dans la vie de Marie, débarque Rose, une vache aveugle, offerte à sa mère pour ses services rendus chez le maire. Mais Marie se moque des yeux qui ne voient pas et qui condamne Rose à l'obscurité, puisque Rose illumine ses journées. 

 

Fascinant le côté lancinant des reprises, non pas des répétitions, vagues successives d'une écriture qui déferle en presque douceur sur la cruauté des gens et de la vie. Inès Cagnati, qui dédie son livre à sa mère ("A Térésina Stédile, ma mère"), a donné vie à un roman qui vous poursuit et vit en vous, une fois le livre refermé, et pour longtemps. 

Pour tout dire, ce petit livre-là m'a été prêté par une jolie dame brune au temps où j'étais bouquiniste, Quai de la Tournelle, rive gauche, à Paris, il y a maintenant une bonne dizaine d'années et aujourd'hui, j'aimerais bien lui rendre ce petit Folio. Si vous la croisez un jour sur le quai ou si vous la connaissez, dites-le lui.

Signe que le roman parfois rejoint la vraie vie. Je crois bien que son prénom, c'était... Marie.

 

 

© Jean-Louis Crimon

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