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13 août 2021 5 13 /08 /août /2021 08:57
"Fauvette, si tu viens à passer par là...". Dominique Bleton. Plein Chant. 1984. © Jean-Louis Crimon
"Fauvette, si tu viens à passer par là...". Dominique Bleton. Plein Chant. 1984. © Jean-Louis Crimon

"Fauvette, si tu viens à passer par là...". Dominique Bleton. Plein Chant. 1984. © Jean-Louis Crimon

"J'aime les mots depuis que je les connais. A l'époque où les enfants de mon âge collectionnaient les buvards de réclame — il y en avait de toute sorte, vantant les mérites de marques de cirage ou de chocolat  — moi, je collectionnais les mots." 

 

Conquis d'emblée par les premières lignes de ce petit livre acheté à la Librairie Evrard, il y a bientôt quarante ans. Une enfance commune et un rapport aux mots très proche, sinon identique. En prime, ce bandeau rouge : "Dernières nouvelles de Saint-Leu" pour qualifier une écriture née et enracinée au coeur de la vieille ville. Des textes courts comme des nouvelles. Nouvelles de l'actualité autant que nouvelles de la littérature. Les personnages de la vraie vie sont déjà des personnages de roman. Le regard de celle qui écrit, sa manière de transcrire, sa façon d'écrire, embarque le lecteur ou la lectrice. Le stop de Madame Dufournoy, Papa Bourdet de la rue des Clairons, ou La Libération, autant d'histoires personnelles et universelles. A chaque fois, Dominique Bleton trouve le ton. Donne une irrésistible envie de lire, de la lire. Pire : d'écrire à votre tour.

 

"Chaque soir, Fernand soufflait sa bougie et se couchait dans son cercueil... une commande qui lui était restée sur les bras..."

 

L'histoire de Fernand me rappelle Camus. Le Camus de "L'Envers et l'Endroit", Camus qui écrit dans le dernier récit :

"C'était une femme originale et solitaire. Elle entretenait un commerce étroit avec les esprits, épousait leurs querelles et refusait de voir certaines personnes de sa famille mal considérées dans le monde où elle se réfugiait. Un petit héritage lui échut qui venait de sa soeur. Ces cinq mille francs, arrivés à la fin d'une vie, se révélèrent assez encombrants. Il fallait les placer. Si presque tous les hommes sont capables de se servir d'une grosse fortune, la difficulté commence quand la somme est petite. Cette femme resta fidèle à elle-même. Près de la mort, elle voulut abriter ses vieux os. Une véritable occasion s'offrait à elle. Au cimetère de sa ville, une concession venait d'expirer et, sur ce terrain, les propriétaires avaient érigé un somptueux caveau, sobre de lignes, en marbre noir, un vrai trésor à tout dire, qu'on lui laissait pour la somme de quatre mille francs. Elle acheta ce caveau. C'était là une valeur sûre, à l'abri des fluctuations boursières et des évènements politiques. Elle fit aménager la fosse intérieure, la tint prête à recevoir son propre corps. Et, tout achevé, elle fit graver son nom en lettres d'or.

"Cette affaire la contenta si profondément qu'elle fut prise d'un véritable amour pour son tombeau. Elle venait voir au début les progrés des travaux. Elle finit par se rendre visite tous les dimanches aprés-midi. Ce fut son unique sortie et sa seule distraction. Vers deux heures de l'après-midi, elle faisait le long trajet qui l'amenait aux portes de la ville où se trouvait le cimetère. Elle entrait dans le petit caveau, refermait soigneusement la porte, et s'agenouillait sur le prie-Dieu. C'est ainsi que mise en présence d'elle-même, confrontant ce qu'elle était et ce qu'elle devait être, retrouvant l'anneau d'une chaîne toujours rompue, elle perça sans effort les desseins secrets de la Providence. Par un singulier symbole, elle comprit même un jour qu'elle était morte aux yeux du monde. A la Toussaint, arrivée plus tard que d'habitude, elle trouva le pas de la porte pieusement jonchée de violettes. Par une délicate attention, des inconnus compatissants devant cette tombe laissée sans fleurs, avaient partagé les leurs et honoré la mémoire de ce mort abandonné à lui-même."

...

" Après tout, je ne suis pas sûr d'avoir raison. Mais ce n'est pas l'important si je pense à cette femme dont on me racontait l'histoire. Elle allait mourir et sa fille l'habilla pour la tombe pendant qu'elle était vivante. Il paraît en effet que la chose est plus facile quand les membres ne sont pas raides. Mais c'est curieux tout de même comme nous vivons parmi des gens pressés."

 

© Jean-Louis Crimon

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