"Bonjour et fin de ce Journal ! " Fallait oser ! Pour une ouverture, ce fut une ouverture. Voir blêmir soudain l'ami Demorand, en état de quasi panique, et s'agiter, derrière la vitre, réalisatrice, assistante et techniciens, celles et ceux qui font vivre la voix et les sons, dura à peine une demi seconde, mais l'instant valait d'être vécu. C'était mon dernier journal en matinales. Trois années de réveil en pleine nuit, de lever avant trois heures du matin, trois saisons, 2003-2004, 2004-2005, 2005-2006, de septembre à mi-juillet.
Certains jeunes confrères, toujours bien intentionnés, me reprochèrent d'avoir pris les auditeurs en otages et réclamèrent, en mon absence, une sanction exemplaire, un blâme, à la conférence de rédaction de 9 heures. De blâme, je n'eus point. En revanche, je reçus dans la demi-heure qui suivit ce dernier journal, une bonne cinquantaine de mails et dans la semaine quelques dizaines de lettres manuscrites, dont celle d'un vieux professeur de français qui me demanda le script de mon ouverture. Bien sûr, je la dactylographiai et lui envoyai.
Le texte, ce fameux texte, je l'ai retrouvé il y a peu. Je vous le donne, non pas en pâture, mais en lecture. Si jamais vous avez l'envie de l'entendre dans ma voix et d'écouter ce jounal historique, le plus court de toute l'histoire de la radiophonie, il se trouve sur YouTube.
Replay... Il est 7 heures sur France Culture, la première édition du Journal, c'est avec l'ami Jean-Louis Crimon, Bonjour...
Bonjour et... fin de ce Journal !
Oui, fin de ce journal
Le Présentateur du 7 heures subitement devenu fou s'emballe et remballe à la fin du sonal
sa moisson de sons et de sens
et vous impose, suprême insolence, cette page blanche d'un quart d'heure de silence.
Le Présentateur du 7 heures en a trop plein sur le coeur des rancunes et des rancoeurs
et des horreurs de la nuit et des malheurs du monde
de cette info nécrophile et nécrophage
assez de ces nouvelles qui n'ont rien de nouveau
assez de cette info qui sonne faux
assez de ce rituel aux allures de châtiment perpétuel.
Le Présentateur du 7 heures est la version radiophonique d'un Sisyphe magnétique
Chaque nuit, il roule son rocher de papiers au sommet de la montagne
d'où le rocher retombe, inéluctablement, chaque matin.
Chaque nuit, le travail est à reprendre,
Chaque matin, tout est à refaire.
C'est Camus qui rappelle "Les Dieux qui avaient condamné Sisyphe savaient bien qu'il n'est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir"
et Camus d'ajouter "Sisyphe, prolétaire des Dieux, impuissant et révolté, connait toute l'étendue de sa misérable condition"
et le matinalier, le journaliste du matin, a le même destin,
mais ce matin, il dit non.
Le Présentateur du 7 heures s'en va,
C'est son dernier Journal,
Pas de cartons d'invitation,
Pas de grandiose réception,
Pas de grand messe matinale,
Il casse,
Il se casse,
Il s'efface et laisse la place.
Voici donc, pour la dernière fois,
Les Titres de l'actualité que je vous dois...
Ont donc suivi les Titres du Journal de ce 13 Juillet 2006, que je développai le plus naturellement du monde :
Israël sur deux fronts : dans la Bande de Gaza, avec l'intensification des attaques contre le Hamas et, au Sud Liban, pour récupérer deux soldats enlevés par le Hezbollah,
Dans un instant, analyse et explications avec Olivier Danré, ici, à Paris, et à Jérusalem, Dominique Roque, notre consoeur de RFI et puis le sentiment de l'Ambassadeur d'Israël à l'ONU, Dan Gillerman,
Dans l'actualité de ce jeudi 13 Juillet, nous nous arrêterons à nouveau sur le dossier nucléaire iranien, avec Luc Lemonnier, et nous reviendrons, en France, sur la situation d'impasse, à EuroTunnel, après l'échec des négocaiations, hier, et sur la publication, par le Ministère de la Santé, des chiffres de dépense de santé pour 2005, en hausse par rapport à 2004, avec plus de 190 milliards d'euros, soit plus de 11 % du PIB, le Produit Intérieur Brut.
Aujourd'hui encore, je suis sidéré devant ce "Bonjour et fin de ce Journal !" Une telle inconscience et une telle lucidité. Sans aucun doute, l'expression de ce qu'à l'époque de la Licence de Philosophie, avec Goldenberg et Demarcy, nous appelions la hardiesse des timides.
© Jean-Louis Crimon