Cette année-là, Yasser Arafat reçoit à Oslo, en Norvège, le Prix de la Fondation Carter, du nom de l'ancien Président démocrate, Jimmy Carter, Prix Nobel de la Paix 2002, depuis longtemps engagé dans le dossier du Proche-Orient. Carter, celui-là même qui a négocié et obtenu les accords de Camp-David, les premiers, ceux de 1978. En 2003, Carter soutiendra l'initiative de Genève, un plan de paix israélo-palestinien non officiel. Manière de donner une nouvelle impulsion à la "feuille de route" de l'administration Bush, à condition que celle-ci décide de modérer ses positions pro-israéliennes. Selon la formule longtemps martelée, et malheureusement, tout aussi longtemps piétinée depuis, "deux Etats, libres et indépendants, vivant, côte côte, en harmonie et en paix". Nous en sommes si loin, désormais.
Fin de matinée danoise. Coup de fil de Ralph Pinto, chet du service diplo de France Inter, toujours courtois, mais avec un rien de malice ou d'ironie : Bon, Monsieur Crimon, vous pratiquez bien les avions dans votre contrée lointaine, Copenhague-Oslo, ça doit se faire en une heure ! Arafat y reçoit cet après-midi le Prix de la Fondation Carter, vous voyez ce qu'il vous reste à faire..." Avec Ralph, on ne discute pas, on obtempère. Dès le début, Monsieur Pinto m'a prévenu : deux choses à vous dire : Un, on ne tutoie pas Ralph Pinto, Deux, tout n'est pas à dire à tout le monde et à tout moment. En guise de lettre de mission, le jour de ma nomination au poste d'ESP pour la Scandinavie et les Etats Baltes, qu'en termes précis, ces choses-là sont dites. Envoyé Spécial Permanent, en permanence, 24 heures sur 24, à la disposition de l'actualité, quelle qu'elle soit, et des différents rédacteurs en chef de la grande Maison ronde. Copenhague, Oslo, Stockholm, Helsinki, parfois Saint-Pétersbourg, Talllin, Riga, Vilnius, parfois Berlin et Varsovie, un immense terrain de reportage, qui change un peu, beaucoup, je l'avoue, de Longueau, Amiens, Dreuil, Camon, Rivery. Vue de là-haut, du grand Nord , la Picardie, ça semble tout petit, mais avantage, ma région d'origine, c'est désormais, pour moi, à tout jamais, au Sud !
La Fondation Carter, "Carter Center", a été créée en 1982 par le président des Etats-Unis et prix Nobel de la Paix, Jimmy Carter. Buts proclamés de la Fondation : la résolution pacifique des conflits, la défense et l'avancée des Droits de l'homme, la protection de l'environnement, l'aide au développement ainsi que la réduction des souffrances humaines.
Quand il entreprend son premier voyage au Proche-Orient, en 1973, Jimmy Carter est simple gouverneur de Géorgie, Etat modeste du Sud des Etats-Unis. En trente ans, il devient l'un des meilleurs connaisseurs de la région. Proche d'Yitzhak Rabin, de Moshé Dayan et de Golda Meir, il dialogue avec tous ceux, d'Anouar el-Sadate à Ehud Olmert, de Hussein de Jordanie à Yasser Arafat, qui ont imprimé leur marque dans l'histoire tourmentée de cette partie du monde.
Comme le processus de paix entamé à la Conférence de Madrid, en 1991, ne débouchait sur aucun résultat, des négociations secrètes sont menées à Oslo entre des membres de l'OLP et des représentants du gouvernement israëlien. Le 13 septembre 1993, la Déclaration de Principes dite "accords d'Oslo" sera signée à la Maison Blanche, sous l'égide d'un autre président démocrate, Bill Clinton. Une photo fera le tour du monde, celle de la poignée de main historique échangée entre le premier ministre israëlien, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat. Une poignée de main qui les conduira, avec Shimon Peres, au Prix Nobel de la Paix.
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Oslo, allez savoir pourquoi, ça m'a toujours fait penser à la Belgique et aux Belges. Même simplicité des Norvégiens. Moins solennels que les Suédois. Moins pointilleux que les Danois. Tout est simple. On vous dit rarement non. Les Norvégiens sont les Belges des Danois et des Suédois. En Norvège, accès facile aux différents Ministères.
- Jeg er en fransk journaliste og vil bli akkreditert for utdelingen av Carter Foundation-prisen til Yasser Arafat... Je suis un journaliste français et je voudrais être accrédité pour la remise du Prix de la Fondation Carter à Yasser Arafat...
- Ja, selvfolgelig, men du snakker norsk veldig bra ! Du ma fortelle meg hvorfor... Oui, bien sûr, mais vous parlez très bien norvégien ! Il faudra me dire pourquoi...
Charmante, l'attachée de presse du Ministère des Affaires Etrangères, le Utenriksdepartementet,je lui promets un café, après l'interview d'Arafat. Si tout se passe bien.
Seul problème, ça se voit tout de suite, la salle où doit se dérouler la cérémonie est trop petite. Il y a trop de monde. Trop d'accréditations et trop d'invitations. Les confrères sont en nombre. Comme c'est la coutume, je laisse les deux premiers rangs à la télévision, et je m'installe au troisième rang, attribué aux radios, ensuite ce sont les confrères et consoeurs de la presse écrite. Prévoyant, je suis dans la salle une bonne dizaine de minutes avant l'heure. J'installe donc mon micro sur un mini pied posé devant la place siglée au nom de Yasser Arafat et je déroule la rallonge prévue pour les cas où il n'est pas possible d'approcher celui dont on veut recueillir la voix. De la table où s'exprimera Arafat, je fais descendre le câble, le passe sous les deux premiers rangs, et me raccorde au Nagra, que j'ai sur les genoux, au milieu de la troisième rangée, juste en face de la place où Arafat doit s'asseoir. Parfait.
A l'heure prévue, le petit homme au keffieh noir et blanc pénètre dans la salle, accompagné du Président Carter. Arafat s'assoit juste à l'emplacement prévu. Bien en face de mon micro siglé Radio France. Jimmy Carter reste debout, juste derrière lui. J'ai bien géré. J'enregistre dès qu'il commence à parler. Le vumètre module bien, le son sera bon. Sauf que, - allez savoir pourquoi- , une minute à peine après le début de l'enregistrement, légère bousculade côté caméramen du premier rang, le mini pied tremble et le micro tombe sur la table. Mon enregistrement de la conférence de presse de Yasser Arafat est en carafe et moi à la ramasse. Refusant de m'avouer vaincu, je relève la tête et fixe le regard de Jimmy Carter, puis je baisse ostensiblement la tête vers le micro. Je recommence sans vouloir être trop intrusif. Carter comprend le drame qui se joue pour moi, il s'empare du micro, le tient à bout de bras devant la bouche d'Arafat. Sourire de remerciement de ma part en direction du grand homme qui, à cet instant précis, me sauve la vie et mon enregistrement.
Heureusement, l'anglais d'Arafat ne permet pas de discourir trop longtemps. Quelques questions des confrères norvégiens et de la presse étrangère, et l'affaire est pliée. Je m'empresse d'aller récupérer mon micro et mon mini pied. En remerciant chaleureusement mon sauveur du jour.
- Je n'ai pas les moyens de vous "piger" mais je dois vous dire un grand merci, Monsieur Carter. Sans vous, pas de prise de son. Pas d'enregistrement. D'autant plus ému que je pense à mon père qui admire l'Amérique. Quand je vais lui dire que j'ai eu, à Oslo, un Président des Etats-Unis pour preneur de son, moi, le fils du jardinier... ses yeux vont se mouiller.
Jimmy Carter, très classe, m'a serré longuement la main, et m'a dit : The pleasure is mine.
© Jean-Louis Crimon