Un soir du début des années 80, après le spectacle. Compiègne. Paco Ibanez était venu saluer Léo dans sa loge et, comme d'habitude, Marie avait plaidé ma cause : " Léo, tu sais, c'est le monsieur d'Amiens, tu peux le recevoir, lui, il est gentil." Ferré m'ouvrait les bras et me faisait la bise. Viens dîner avec moi, on fera ça après le repas ! Feu vert pour la conversation magnétique.
Le lendemain soir, le téléphone sonne. J'étais dans la salle de bain en train de développer les photos de la soirée de Compiègne. Je décroche.
- Allo, Jean-Louis Crimon, c'est toi, c'est Léo, je t'appelle parce que tu sais, hier soir, pendant l'interview, j'ai déconné un peu sur Jean-Edern Hallier, ce mec qui voulait "casser du Ferré en Mai 68", ce type qui affirmait partout que j'étais "l'anar à la Rolls", mais bon, tu le sais, toi, je te l'ai dit, j'ai jamais eu de Rolls... Bon, tu vois, je t'appelle, là, à la mi-temps, faut que tu me promettes de ne jamais diffuser ce que j'ai dit sur lui, parce que, sinon, j'ai peur qu'il vienne encore me chahuter en concert, ça m'agace et ça me terrifie !
- Oui, Léo, je comprends....
- Tu me promets, hein, tu ne diffuses jamais ce truc !
- Pas de problème, Léo, je ne diffuserai pas ce passage de notre conversation, ça restera entre toi et moi.
- Bon, merci, Jean-Louis, j'y retourne, tu sais, c'est l'entracte, mais ça va bientôt recommencer, je repars au combat ! Je t'embrasse !
- Bonne fin de concert, Léo, je t'embrasse aussi, bon courage à toi !
Incroyable coup de fil ! C'est comme si Baudelaire en personne, ou Verlaine, venait de m'appeler. Je suis resté de longues minutes, perplexe, pensif. Que Léo m'appelle, à l'entracte du spectacle qu'il donnait à Lille, était un signe, un beau signe. Signe d'estime, belle preuve d'amitié et de confiance.
Bien sûr, j'ai gardé précieusement la bande magnétique de ces quinze minutes d'interview ferréesque de Compiègne et je n'ai jamais diffusé le passage où Léo parlait de Jean-Edern Hallier.
© Jean-Louis Crimon