Te voilà face à celui que tu admires depuis si longtemps, C'est ton fils qui t'a entraîné dans les allées du Cimetière du Montparnasse. Voulait que tu ailles saluer Baudelaire. Chez nous, c'est banal, les vivants rendent souvent visite aux absents. Les morts ne sont pas vraiment morts tant qu'un vivant les maintient vivants, justement.
Tu te souviens de cette jolie formule, en fait une confidence de Graeme Allwright, le chanteur aux pieds nus, au cours d'une interview: " On meurt deux fois, d'abord quand on passe de vie à trépas, ensuite quand plus personne ne parle de vous, ne vous évoque ou ne vous nomme, ou ne vous rend visite." Tu n'as jamais oublié. Tu pensais et tu penses toujours exactement la même chose.
Te trouver face à la tombe de Baudelaire, cette tombe vue tant de fois, en photographie, dans des livres de poésie ou de littérature, a quelque chose de déconcertant. Tu trouves la tombe petite. Ecrasée par les monuments funéraires d'à côté.
Ce qui te plait, d'emblée, ce sont les traces de lèvres rouges et roses de baisers laissés par des éplorées venues dire leur amour.
Lèvres qui ont embrassé le marbre blanc de la tombe que Charles partage avec ses parents. Lèvres des baisers de femmes qui ne sont pas venues pour le Général Aupick ou pour la veuve Baudelaire. Sont venues pour toi, Charles. Toi qui, à ta mort, a ta vie résumée en... trois lignes. Indigne.
Le Général, qui plus est Sénateur, a droit à 11 lignes dans sa bio de marbre et sa veuve à 8 lignes. Ce qui ne vous laisse pas de marbre.
Ton fils te fait la remarque avant que tu ne l'exprimes à haute voix : le marbrier n'a même pas gravé le mot... poète.
Charles, est-ce que tu nous vois au pied de ta tombe ? est-ce tu es quelque part dans le vaste monde ? est-ce que tu nous entends quand on te parle ?
Charles ne répond pas. Charles n'a pas répondu. Ou tu n'as pas entendu. Tu voulais lui lire le récit du tour joué, il y a de cela quelques années, par un Bouquiniste malicieux, à une certaine veuve... Aupick.
Juste à retrouver l'extrait en question.
© Jean-Louis Crimon
Première parution : 14 Février 2016.