C'est une toute petite rue, entre la rue des Trois Cailloux et la rue des Jacobins. Son nom, seul, est un titre de poème. Ou un titre de roman. Policier le roman. Forcément. Rue des Corps Nus sans Tête. Autrement dit, pour dire crûment la chose "rue des gens à poils sans tête", "rue des gens à poils, décapités". Vraiment étrange comme nom de rue. Enigme pas évidente à élucider. Surtout que "Corps Nus", en deux mots, s'écrit parfois "Cornus", en un seul. Autrement dit, textuellement : qui porte des cornes.
Selon Maurice Crampon, un historien local, c'était d'ailleurs de cette façon que la rue des Cornus fut d'abord orthographiée. La rue des Cornus, rue des maris trompés, pour ne pas dire cocus, était une rue où se trouvait une maison "accueillante" où venaient se consoler les époux trahis. Maison accueillante à l'enseigne significative représentant des torses d'hommes pourvus de bois de cerfs, sortant directement de leurs épaules. Les cornes ainsi portées faisant d'eux d'authentiques "cornus". Des "Cornus sans Tête". D'où le nom de cette rue, située entre la rue des Trois Cailloux et la rue des Jacobins : rue des Cornus sans Tête. CQFD. Ce qu'il fallait démontrer. Sauf que...
Une autre source, un autre historien, Pinsard, indique, lui, qu'un homme, le corps complétement nu, et sans tête, a été retrouvé un jour en ce lieu, assassiné, décapité, et donc dépourvu de vêtements.
"Corps nus", en deux mots, ou "Cornus", en un seul, pas facile de savoir de quel côté se trouve la vérité de l'histoire.
Moralité, si pour passer de la rue des Jacobins à la rue des Trois Cailloux, vous traversez la rue des Cornus sans Teste, gaffe à vous, surtout si, à hauteur de vos épaules, vous sentez soudain comme des bois vous pousser, des bois de cerf... Alors, rentrez vite chez vous, car... aucun doute, en vous, le Cornu n'est pas loin.
© Jean-Louis Crimon
Chronique écrite à la demande de France Bleu Picardie et diffusée le 12 novembre 2019, à 6 heures 20 et à 16 heures 20.