L'Hortillon des mots. Sept. 2019. Le Fils de Jean-Jacques. Isabelle Marsay. Oct. 2015. © Jean-Louis Crimon
Chapitre 12
Avec son Fils de Jean-Jacques, sous-titré La Faute à Rousseau, Isabelle Marsay nous embarque dans un parcours philosophique inattendu et vraiment séduisant. Roman captivant comme un roman d’aventures où poésie et littérature font bon ménage sur les rieux souriants des hortillonnages. Le moment du plus bel embarquement – celui qui nous fait découvrir les hortillons et les hortillonnages – se situe du côté des pages 172, 173 et 174, dans les pas de Baptiste, le fils aîné, le seul que Jean-Jacques Rousseau aurait pu retrouver.
Lecture : « Ils prirent le chemin de halage, se dirigèrent vers les hortillonnages, minuscules jardins maraîchers situés sur de petits îlots, entre le ciel et l’eau. Ils parvinrent ainsi à l’endroit où la rivière se ramifie pour alimenter d’étroits canaux ceignant des centaines de parcelles.
« Deux ans auparavant, Baptiste et Roland avaient rencontré là un hortillon couvert de vase qui raclait le bord des rives avec un grattoir. Comme tous deux l’interrogeaient, le brave homme avait cessé sa besogne, en disant : faut toujours gripper ch’fossé, sinon ça finit qu’il y a plein d’herbes et que ch’batieu, y peut plus aller al z’aires. »
Ici, plus d’un hortillon doit sourire, devant les propos rapportés. « Un hortillon raclant le bord des rives avec un grattoir », ça n’existe pas et ça n’a jamais existé, ou alors dans les romans. C’est à la bêche ou à la pelle qu’il faut consolider les bords des aires. Un sacré travail, tout en force et en finesse. Qui tient de la sculpture autant que de la culture.
Isabelle Marsay poursuit : « Plusieurs barques glissèrent sous leurs yeux. Assise à l’avant d’une coque au bec relevé – traduisez « bateau à cornet » –, une ravissante hortillonne portait une coiffe maintenue par de petites baguettes qui lui faisait un genre de tonnelle et la protégeait du soleil. Sa cargaison était recouverte d’un lit de roseaux fraîchement coupés qui préservaient les légumes qu’elle vendait, le lendemain, sur les étals du marché. »
(…) « Sur le quai, ils avisèrent un maraîcher qui venait de la rive d’amont et qui sortait de sa barque des paniers pleins de pois, de salades et de raves qu’il déposa au pied du pont. Le fils de ce dernier tenait la perche qu’il plantait à intervalles réguliers dans le rieu pour pousser son embarcation. Moyennant quelques sols, il accepta de mener les deux jeunes gens à travers les parcelles que ses ancêtres avaient eux-mêmes cultivées. »
(…) « C’est ainsi que Baptiste et Thomas se retrouvèrent sous les frondaisons, entre les roseaux et les lentilles d’eau. La cathédrale, immense bergère de pierre veillant sur son troupeau de masures basses, disparut peu à peu entre les feuillages. »
Bergère pour bergère, la métaphore en rappelle une autre, celle du premier poème du recueil Alcools, et des trois premiers vers de Zone d’un certain Guillaume Apollinaire :
« À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine »
Belle correspondance, toute naturelle, entre la professeure de lettres du Paraclet et le grand Guillaume. Plus loin, page 174, Isabelle Marsay poursuit sa progression sur les rieux, avec cette belle notation très sensuelle : « Baptiste sentit sur ses épaules, sur ses joues, la caresse des saules et des arbres fruitiers. Il écartait souvent des branches, se penchait pour éviter d’être blessé ou de freiner la barque qui filait vers l’Île aux Fagots, en admirant les miroitements du soleil et les lambeaux de ciel réfléchis par les eaux. »
(…) « Bientôt on n’entendit plus qu’un vague clapotis, les tapis de nénuphars et les lentilles d’eau s’écartant sur leur passage comme pour aider les trois jeunes gens à pénétrer dans un autre univers, celui des terres fertiles aux contours mouvants, Baptiste s’attendait à voir surgir des ondines, des elfes, des sylphides, prêts à guider des habitants d’autres rives dans le dédale singulier de leur monde enchanté.
« Alors, fermant les yeux puis se laissant bercer, Baptiste s’imagina vivre parmi ces maraîchers, loin des métiers battants, des bruits de la cité, naviguant d’île en île, de terres en étangs, s’affairant comme un lutin ou un farfadet en passant constamment de l’eau à la terre, de l’ombre à la lumière. Il se voyait aidant les hortillons à remplir leurs mannes, puis faire un somme, à l’ombre de leur cabane. »
L’écriture de la romancière se glisse en douceur dans l’univers particulier des hortillonnages, pour mieux en imprégner l’âme de ses personnages. Discret miracle de la fiction quand la mélodie de la phrase se fond dans le paysage, au point que le rêve éveillé de Baptiste, soudain, accoste au quai du réel. Bien sûr, dès le départ, le lecteur sait bien que le roman composé par Isabelle Marsay n’a pas pour but premier de nous faire découvrir la vie et le travail des hortillons, mais le plaisir est intense. Tout comme le bonheur de lecture.
Celle qui enseigne les lettres au Paraclet maîtrise l’art de dire beaucoup en disant peu. C’est peu de le dire
© Jean-Louis Crimon / Les Soleils Bleus Editions. Sept. 2019.
----------FIN DU TEASING------ "L'Hortillon des mots" désormais en librairie... -------------------------