Pierre Garnier. © Jean-Louis Crimon / Les Soleils Bleus Editions. Sept. 2019.
Chapitre 8
Dans son long poème en vers libres simplement intitulé La Somme, Pierre Garnier fixe des instants étincelants, douces fulgurances au goût d’enfance, belles étincelles de temps éclaté, parcelles d’éternité, avec cette écriture où celui que l’on a appelé le poète spatialiste illumine de sa palette aquarelle le temps qui se balance comme une branche de saule au bord d’une eau douce.
Extraits choisis :
« (...) là-bas, là-haut, dressée,
la toute jeune cathédrale
tout alors devient apesant,
l’hortillon, sa barque, ses légumes
naviguent dans le temps.
Dans l’éternel.
reflets des laitues, échos des sarcelles,
Il n’y a que la transparence
– même Lafleur ne parle que dans la transparence des siècles au loin,
il y a si longtemps, quai Bélu, chez Monsieur et Madame Pache,
un jeu de cabotans, une scène, une barque à cornet
– le drame se passe sur l’eau
(…) des rieux des étangs plats sans la moindre trace de cascade
l’humus lui-même flotte comme une feuille de nymphéa
l’hortillon pousse sa barque en enfonçant une perche,
ne déséquilibre rien
plus tard l’hortillon enfonce sa bêche : sa terre avance
il fait avancer son jardin d’heure en heure, de jour en jour
– on le voit même naviguer de saison en saison
les jardins transparents naviguent
(…) quand on embarque on pose le pied sur le bord,
la barque s’enfonce et se redresse
cette région exige un géographe,
on avance dans ce réseau comme Christophe Colomb traverse l’Atlantique ! »
Pierre Garnier ne croit pas si bien dire. Sa remarque ferait sourire Bruno Bréart, qui, plus tard, a redécouvert, lui, sur des manuscrits médiévaux, la première apparition du mot (h)ortillon en… 1492. Sans « h », mais ortillon déjà à la tâche. 1492, l’année où Christophe Colomb découvre l’Amérique.
« Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. »
Pierre Garnier poursuit la progression fluviale de son poème grandiose, comme Rimbaud son Bateau ivre :
« (…) ici aussi on débarque et on voit des Indiens naviguer border par les rives – comme la vie elle aussi bordée par les rives
– surprise de déboucher dans l’étang les rives s’élargissent comme quand on écrit un poème les deux rives : le signe égal, cette ouverture devant où la barque se glisse
la bêche plaque de belles pages sur l’humus
(…) bêchant, l’hortillon fait danser la terre. On voit bien cette valse si on regarde la bêche – et sa robe au bas éclatant
dans les hortillonnages la barque traverse des cités lacustres
on s’y promène comme à la cathédrale, là aussi, juste au-dessus de l’eau, il y a des autels les barques sont des stalles simples non sculptées –elles racontent aussi le baptême le saint Christophe de la cathédrale est un hortillon – il passe le Christ de saison en saison
(…) les hortillonnages sont des jardins à la française dont les allées sont d’eau… »
Pierre Garnier débute en poésie au sein de l’école de Rochefort, avec Jean Rousselot. Il entre ensuite aux éditions André Silvaire qui, avec la revue Les Lettres, seront la rampe de lancement de la poésie spatiale, mouvement que Pierre Garnier fonde avec sa femme, Ilse. Le spatialisme se développera au Japon, aux États-Unis, comme en Grande-Bretagne et en Allemagne.
Poète, écrivain, critique et traducteur, de Goethe, de Novalis, de Heine et de Nietzsche, professeur d’allemand à la cité scolaire d’Amiens où j’ai eu pendant deux années scolaires,1977-78 et 1978-79, le bonheur de le côtoyer – pas seulement dans la salle des profs – au temps où j’enseignais la philosophie. Admiration inoxydable pour le poète, l’enseignant et l’homme du Presbytère de Saisseval. Avec qui je ne partageais pas que le goût des mots. Mais aussi cette passion pour les oiseaux. Des oiseaux que Pierre célèbre si bien dans son recueil Ornithopoésie, paru en 1986, aux éditions André Silvaire.
© Jean-Louis Crimon / Les Soleils Bleus Editions. Sept. 2019.