Amiens. Joseph Bellemère. Roger Léveillard Editeur. 1928.
Chapitre 7
C’est un petit ouvrage à la couverture sépia et au titre tout simple : Amiens. Publié à la fin des années vingt. Mille neuf cent vingt-huit. Joseph Bellemère, l’auteur, avoué de son métier, y avoue surtout un réel talent pour l’écriture et une vraie passion pour le patrimoine picard. Même si, dès l’avant-propos, il relativise et esthétise sa démarche : « Cet opuscule n’est ni un guide, ni un travail d’archéologie. Il faut y voir une description d’Amiens pittoresque, telle qu’elle peut apparaître aux yeux d’un amateur de peinture. »
Amateur de peinture, certes, puisque Joseph Bellemère a publié, vingt ans plus tôt, une étude présentée par lui-même comme une « étude critique » sur le musée d’Amiens. Il y vilipende avec une réelle délectation la gestion des collections. Titre de cette étude critique, publiée en octobre 1908 : Le Musée d’Amiens. Extrait de la conclusion Bellemèrienne : « Pour de rares toiles intéressantes, que de croûtes offertes par des amateurs qui auraient bien dû se garder de tels actes de générosité, et aussi que de dons superflus… alors que l’on aurait dû sévèrement consigner à la porte, et les donateurs et leurs funestes présents. »
Retour aux hortillonnages. Pages 52 et 53 de son Amiens, Joseph Bellemère brosse un tableau sensible et très vivant de ce lieu clé de la Samarobriva de début du XXe siècle. « Il faut voir cet endroit merveilleux, de préférence le matin – de bonne heure autant que possible – le mardi, le jeudi et le samedi. Ces jours-là, il y a, sur la place Parmentier, un marché aux légumes de grande importance et ce marché, unique en France, ajoute une note des plus curieuses au splendide tableau que nous ne pouvons nous lasser de contempler. « Sous les arbres où grouillent marchands et acheteurs, s’entassent des pyramides de carottes, de radis, de choux, d’artichauts, de navets, d’oignons, etc. qui mélangent toutes les nuances du vert à toutes les couleurs des fruits et des légumes, à toutes les teintes des vêtements de la foule. Tout autour du marché, jusque sur le pont de la Dodane, jusque dans la rue Bélu même, s’entassent – attelées ou dételées – des voitures à ânes ou à chevaux, des baladeuses de revendeurs, des carrioles bâchées, des brouettes, des sacs, des paniers. Et sur l’eau se pressent des quantités de longues et larges barques à fond plat, à l’avant relevé, qui apportent d’énormes chargements en provenance des hortillonnages et que manœuvre, avec une habileté surprenante, un seul homme ayant pour toute ressource une longue perche ou une sorte de pelle de bois à manche court. Avec l’une ou l’autre, il accomplit de véritables tours d’adresse. »
Remarquable papier d’ambiance, dirait-on sans doute encore aujourd’hui. Vrai papier de journaliste localier. Sens du détail avec de beaux arrêts sur image : couleurs, dégradés de vert, attitudes, gestes, tout ce qui constitue l’animation de ce quai Parmentier qui, à l’époque, trois fois par semaine, voit débarquer les barques à cornet débordant de leur cargaison de fruits et de légumes.
Enfin, petite note précise et précieuse au bas de la page 53, note qui atteste un fait que certains contestent. Une réalité considérée comme une rumeur ou une légende. Fake news avant la lettre.
« Lors des inondations de 1910, un certain nombre de ces bateaux et de ces bateliers, expédiés à Paris et dans sa banlieue, y rendaient de très appréciables services. »
Cela dit, pour l’instant, pas la moindre photo de barque à cornet dans une rue ou sur un boulevard de Paris inondé. Pas davantage de carte postale permettant d’authentifier le rôle des hortillons picards dans l’aide apportée aux Parisiens victimes des inondations de 1910. Avis de recherche aux collectionneurs de cartes postales anciennes, surtout à ceux qui sauront avoir l’œil. Avis aux amateurs. Pour écrire, bien sûr, un nouveau chapitre de l’Histoire de la barque à cornet.
© Jean-Louis Crimon / Les Soleils Bleus Editions. Sept. 2019.