Amiens. Quartier Saint-Leu. © Jean-Louis Crimon
En ce temps-là
La purée ne s'appelle pas mousseline
Ma mère n'a pas encore appris
A speeder dans la cuisine
Pour faire pleuvoir le lait chaud
Sur des flocons déshydratés...
En ce temps-là
Nous ne savons rien de la purée virtuelle
En sachets individuels
Avec doseur !
Produit-sans-sel-ajouté
A-consommer-de-préférence
Avant-la-date-indiquée
Sur-le-dessus-du-paquet !
En ce temps-là
( Fin des années cinquante )
J'ai 10 ans
C'est le temps
Du rituel
De la manivelle
Du vieux moulin à légumes
Et des grappes de chair tendre
Des pommes de terre qui fument...
La purée était à la fois compacte et douce
Onctueuse comme une première neige
Une noix de beurre,
Un peu de lait,
Suffisaient
A donner vie
A cette purée magique...
On mangeait en douceur
Une purée blanche immaculée
Comme si l'on croquait l'hiver
A pleine dents
A pleine bouche gourmande.
- Qui en redemande ?
Pour toute réponse, d'un bon coeur,
Se levaient unanimes nos assiettes !
Pas gros le steak,
Mais la purée, ça cale,
Disait ma mère en riant...
Je riais tout autant,
Et ma soeur, et mon frère, et mon père
Copieusement !
Quand j'y pense
A ce temps-là
De cette purée rustique
Du temps d'autrefois
Je rêve qu'il neige
Dans mon assiette
Tous ces petits bonheurs minuscules
Des repas de mon enfance
Mais dans la file
Automobile
Des gens distraits
Je roule
Jusqu'au Supermarché de la ville
Faire provision de pommes dauphines
Et de purée mousseline...
Demi-tour, Chérie,
On rentre,
L'épicier du coin de la rue
A de vraies pommes de terre,
Si ce soir, aux enfants,
- On a le temps -
On leur faisait...
Une vraie purée.
© Jean-Louis Crimon
(Eloge de la pomme de terre)