Elle était belle ma lettre au Maire de Contay, simple et belle, mais à l'unanimité du Conseil municipal, ma demande d'achat d'un rectangle de quelques mètres carrés dans le cimetière où durant 7 ans, enfant de choeur je fus, a essuyé un unanime refus. C'était en mars 2019. Il y a plus de cinq ans. Depuis le Maire est mort et il a eu droit, lui à sa place dans le cimetière de Contay, ce beau cimetière où j'ai toujours rêvé d'être enterré un jour, mais où, moi, je n'ai toujours pas ma place.
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A l'attention de Gérard Boivin, Maire de Contay,
Courriel du 27/03/19 à 11:37.
Je n'ai pas retrouvé la photo de la tombe de ce petit frère, né et mort en 1950, né le matin et mort le soir, - c'est ma mère qui me l'a dit - mais j'ai retrouvé deux photos qui permettent de situer précisément l'endroit où la tombe se situait. Je vous les adresse en pièces jointes.
La tombe de Jean-Noël Crimon, une simple croix de bois et un monticule de terre, se trouvait à droite de la grande croix aux deux Christ, à l'extrémité de la petite allée, presque en vis à vis de la tombe de Tante Laure et de ses parents, la tombe Dufour-Basserie.
Il y a tout juste dix ans, en mars 2009, pas très loin de cet endroit, je m'étais fait photographier en position de gisant, juste pour rire, ou pour sourire, pas pour mourir. Juste pour voir si l'endroit me conviendrait pour mon "repos éternel". L'avantage - si l'on peut dire - de cet emplacement c'est que je peux apercevoir, au-dessus de la haie, à travers les troncs des peupliers, la maison qui fut la mienne autrefois, jusqu'à mes 14 ans, je crois.
Ne suis bien évidemment pas davantage pressé de mourir aujourd'hui, mais je tiens vraiment à régler ces petites formalités administratives maintenant pour ne pas en laisser la charge à mes enfants.
Je vous remercie donc de l'intérêt que vous pourrez porter à ma demande d'achat de quelques mètres carrés de terrain dans le cimetière communal de Contay, mon village presque natal.
Pouvoir retrouver "mon" village à la fin de mon parcours terrestre me semble en effet très moral et, au fond, une belle façon de mettre un point final à une vie que ma vieille maman, malheureusement plus de ce monde, aimait à qualifier de "pas banale".
Bien cordialement, avec mon amitié Contaysienne,
Jean-Louis Crimon
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Ma belle lettre ne reçut aucune réponse. Me fallut bien me résoudre à appeler plusieurs fois de suite, le soir, chez lui, le Maire, Gérard Boivin, qui faisait dire à sa femme qu'il n'était pas disponible ou plutôt pas disposé à me parler. Enfin, un beau soir, à la troisième ou quatrième tentative, il accepta de me prendre au téléphone. Je lui rappelais que quelqu'un de ma famille, mon petit-frère, Jean-Noël, avait été enterré dans le cimetière, en 1950, et que sans évoquer l'incontournable concession à perpétuité, c'était un signe de notre appartenance au villlage. Je lui rappelais aussi que nous avions fréquenté l'Ecole primaire de Contay, lui et moi, dans les mêmes années, à la fin des années cinquante, au début des années soixante, qu'à 10 ans, je traversais tout le village pour aller à la ferme de ses parents acheter notre lait, des oeufs et du beurre, que ça ne pouvait pas compter pour du beurre. Manifestement, l'homme que j'avais au bout du fil, n'était sensible ni à l'humour, ni à l'amitié, pas davantage à l'affection. Je lui rappelais enfin que sa femme, Marie-Claire, était ma voisine quand nous habitions, nous les Crimon, notre petite maison près de l'Hallue, la rivière du village, et que ses parents nous aimaient bien. René Cauet m'avait d'ailleurs offert, un jour au retour d'Arras, où il enseignait, un bel Atlas tout neuf dont il était l'auteur, lui, le professeur de géographie. Qui sait si mon désir d'être un jour grand reporter et de courir le Monde n'est pas né en apprenant, à 8 ans, le nom de tous les Pays et de leurs Capitales dans le petit Atlas écrit et composé par mon voisin Monsieur Cauet ? Mon dernier atout sombra plus bas que tout : j'évoquais mon premier roman, Verlaine avant-centre, et les pages où l'on peut ressentir tout l'amour que je porte à ce village de Contay, à ses lieux toujours sacrés pour moi, même à 70 ans, à la Butteresse, au Mont-Faÿ, aux Royales, à la Pierre d'Oblicamp, il me coupa net : Ton livre, on l'a pas lu, ajoutant : On lit pas tes livres, ici. Ce furent ses derniers mots et il raccrocha. Je ne m'en suis jamais vraiment remis. Il m'avait "tué" tout en m'interdisant d'être "enterré". La terre qui m'avait vu naître aux goût des mots de la nature et de l'écriture ne me reverrait jamais.
© Jean-Louis Crimonro