Florence Altemani. Dans les Hortillonnages. © Ravet-Anceau Editeur. 2014.
Au premier abord, le titre de ce roman policier n'est pas très attractif. Pas très attirant. Pas très vendeur. "Dans les hortillonnages" n'est pas un titre de polar. Pas un bon titre. A peine une indication de direction. Une indication du lieu où va se dérouler l'action, une indication du cadre de l'histoire que l'auteure va nous proposer. Preuve de la faiblesse du titre, un bandeau rouge, en bas de la couverture, précise lourdement "Canardage à Amiens". Un titre qui a besoin du soutien d'un sous-titre aussi appuyé prouve sa faiblesse. Son manque de force. Son manque de force de persuasion. Pour convaincre le lecteur, ou la lectrice, le bandeau rouge vient à la rescousse. Même si "Canardage" n'est pas du meilleur goût. Le jeu de mots surtout. Car c'est de tout autre chose dont il est question dans ce roman qui dépasse largement le cadre du simple polar.
La qualité de l'écriture, la pertinence des thèmes abordés, pour ne pas dire l'actualité des questions de société, le sens de l'intrigue, les fausses pistes, l'apparente banalité des dialogues, tout, dans ce petit livre de poche, tient de la vraie littérature, parce qu'il s'agit d'abord d'une "vraie écriture". Une écriture vraie, qui sonne juste. Une écriture qui révèle en même temps une parfaite connaissance des lieux de l'intrigue. Que ce soit l'étang de Clermont, lieu du dénouement, le chemin de halage, le pont sous lequel on passe lorsqu'on quitte l'étang Saint-Pierre pour aller vers Rivery, le quai Bélu, le Pont Baraban, Saint-Leu. Même la remontée de la place de la gare jusqu'à la place Gambetta, tout est "vrai". Vrai de vrai. Pourtant c'est dans la fiction que Florence Altemani nous embarque.
Lectrice très jeune du Club des Cinq et de Fantômette, Florence Altemani approfondira sa passion pour le monde des énigmes avec Arsène Lupin et Sherlock Holmes. Au cinéma, ses modèles, sinon ses héros, se nomment Jean Marais et Jean-Paul Belmondo. A la télévision, Nestor Burma, alias Guy Marchand. Elle se mettra même au saxo, hommage-clin d'oeil à l'interprète du détective jazzman.
En Mai 2014, Florence Altemani publie donc son premier roman policier, Dans les Hortillonnages, inspirée, souligne-t-elle, par ses études de Droit, de Victimologie et d'Histoire. Trois domaines dont l'auteure témoigne d'une réelle maîtrise.
De fait, le résumé de la quatrième de couverture place d'emblée le lecteur, ou la lectrice, devant une série d'événements, apparemment sans liens apparents, quoique...
"Après la disparition suspecte d'une apprentie sapeur-pompier, les canards du Lac Saint-Pierre meurent subitement. Lorsque le corps d'un éminent ornithologue est repêché dans les Hortillonnages, les deux acolytes en sont convaincus : un lien existe entre ces différents éléments qui agitent la capitale picarde."
Arrêt page 19 : "La renommée de la ville d'Amiens tenait en partie à sa cathédrale, classée par l'Unesco au patrimoine mondial de l'Humanité, et aux anciens quartiers rénovés qui reposaient à ses pieds, notamment le quartier Saint-Leu, mais aussi à ses jardins entourés d'eau, les hortillonnages. Il s'agissait d'un véritable domaine semi-aquatique qui s'était constitué depuis l'Antiquité romaine dont il avait gardé l'origine de son nom, puisque hortus en latin signifiait "jardin".
Grossière erreur de raisonnement commise ici par Florence Altemani qui confond causalité et corrélation. Pour une déduction plus qu'aléatoire puisque démentie historiquement. En fait, l'auteure se contente - comme beaucoup, malheureusement -, de recopier les erreurs passées et fait remonter l'origine des hortillonnages à l'Antiquité romaine sous prétexte que le mot "hortillonages" vient tout droit du bas latin "hortus" qui signifie "petit jardin". Que le mot "hortus" ait une origine latine et romaine n'est aucunement la preuve que le site géographique des Hortillonnages ait, lui aussi, une origine latine et romaine.
Les mots de la langue, certes, traversent les siècles, mais la pratique agricole hortillonne n'est pas romaine pour autant, puisque médiévale. C'est la tourbe qui est le marqueur essentiel. L'extraction de la tourbe. Pas le whisky tourbé. Qui lui, a une autre histoire.
Le travail de recherche de Bruno Bréart - véritable thèse de plus de 500 pages - démontre au contraire que l'aspect légendaire d'Hortillonnages romains ne repose sur aucune réalité tangible. Cela tient de la légende au sens dégradé du terme. Autrement dit, il s'agit d'une erreur, d'une fausse information, de "fake news" avant la lettre que, malheureusement, nombre d'auteurs sans scrupules colportent de siècle et siècle, par paresse, par faiblesse, par manque de rigueur ou de courage, et surtout par le fait peu glorieux de se "recopier les uns les autres", sans qu'on puisse à ce jour savoir vraiment qui le premier a formulé pareille absurdité. Attitude stupide qui risque de finir un de ces jours prochains en une hérésie ubuesque et croquignolesque du style :
"Dans sa Guerre des Gaules, Jules César raconte comment il s'en va faire son marché dans les Hortillonnages, pour nourrir ses 15.000 Légionnaires en bivouac à Samarobriva, au cours de l'hiver 54-53."
Cela dit, si on accepte de se laisser emporter par la lecture de ce polar sans prétention, on peut prendre un réel plaisir à retrouver, au gré des pages, au gré des lieux, au gré des rieux, qui souvent gardent leur nom de la vie réelle, même si on est dans la fiction. A part le "pâté de canard en sauce" (page 22) que moi je ne sauce pas - mais pourquoi ne pas tester un de ces jours prochains ? -, la plupart des notations sont assez justes et fidèles. Page 30, par exemple, cette observation tout à fait pertinente : "et on donnait le nom de fossé aux petites allées secondaires à vocation purement privée, inaccessibles au public." Les noms des rieux sont aussi très fidèles au réel. Ils déclinent leur véritable identité.
Page 29 : rieu du peuple et rieu de l'abreuvoir
Page 30 : rieu du Grand fossé
Page 31 : rieu du Montplaisir
Page 32 : rieu de la Cauchiette
Mais, bien sûr, ce serait dommage de ne lire le roman, polar ou pas, que pour y retrouver traces de la vie et de la ville réelles. Florence Altemani réussit l'exploit de nous maintenir en haleine pendant trois bonnes heures. Avec deux morts et une suicidée. Sans oublier des dizaines de canards morts de mort... naturelle.
Pour un lecteur comme moi qui rêve d'un roman policier sans cadavre et surtout sans hémoglobine, je vous l'avoue, ce n'est pas le moindre des exploits.
© Jean-Louis Crimon
Florence Altemani. Dans les Hortillonnages. © Ravet-Anceau Editeur. 2014.