Mon point de départ sera simple. Il tient en une seule question. Une simple question : Comment des écrivains, des poètes, des romanciers, se sont emparés des hortillonnages pour inscrire leur oeuvre dans cet espace si particulier, fait de terre et d'eau, de brumes et de brouillards, de canaux appelés "rieux" et de bateaux qu'on dit "à cornet", espace familier et pourtant tellement mystérieux à mes yeux ?
Espace où l'hortillon, être mythologique, emprunte des chemins d'eau pour rejoindre sa terre, là où il va tracer des lignes, semer des routes, enfouir des graines endormies pour faire pousser des plants bien vivants, et de ce rituel, chaque année, faire sortir de son sommeil hivernal la nature hibernante, scruter le ciel et la forme des nuages, prévoir l'arrivée de la pluie, réviser la géométrie des parcelles, rectangulaires ou isocèles, réaffermir les berges, à la bêche ou à la pelle, se lever tôt, se coucher tard. Défi perpétuel pour être à la terre toujours fidèle. Au jour qui se lève, ne jamais manquer à l'appel. Chaque lendemain, remettre ça de plus belle.
Pastelliste du tchernoziom picard, l'hortillon est le jardinier qui glisse sur l'eau, le marin qui arpente la terre, qui jette ses filets pour décourager les étourneaux, protéger les jeunes pousses, marin d'eau douce, marin au pied ferme, rêveur réaliste, bêcheur artiste. Peintre de l'art comptant pour rien. Gondolier superbe qui sait si bien tutoyer la mauvaise herbe.
L'hortillon, à tout jamais gardien du pays des potagers aquatiques. Être de terre et d'eau qui porte son fardeau sur son dos. Qui manie la bêche et le bateau.
Je n'ai pas assez de mots pour dire combien ils sont beaux, ces hortillons qui hortillonnent le pays des hortillonnages. Bateliers bateleurs. Beaux parleurs. Leurs voix sont porte-voix. Pour mieux se donner du baume au coeur. Dans ce land'art patchwork permanent. N'en déplaise aux urbains, les vrais artistes sont au turbin. Du matin au soir. Du soir au matin. Laissez les mannes aux manants.
La perche qui lui sert de rame, le gondolier du rieu la maîtrise et la manie avec une belle élégance. Sur l'eau, l'hortillon donne l'impression qu'il danse. Dans les romans dont je vais vous parler tout au long de ces premières semaines de janvier, selon le talent ou la sensibilité de l'auteur, je puis vous assurer que je les vois danser, les Hortillons. Danser vraiment. Danser la danse des humbles que le sourire en coin du soleil du matin, amuse ou étonne. Autant que la lumière dorée des soirs d'automne. C'est que, de saison en saison, la vie de l'hortillon qui hortillonne n'est jamais monotone. Même si le prix à payer est souvent souffrance. Mal de dos, mal de reins, mais coeur d'airain.
Vers cette terre qui lui donna la tourbe, sera dit que toute sa vie il se courbe.
© Jean-Louis Crimon