La Grande Rue. Celle qui vient de la route d'Amiens. Qui passe par Beaucourt-sur-l'Hallue. Mais bien avant, à quelques kilomètres de la sortie de la ville, tout près de Saint-Gratien et de Cardonnette. L'endroit où à califourchon sur le Solex de mon père, qui me ramenait du Petit-Séminaire, on s'est fait arrêter par les gendarmes. C'était en 1960 ou 61. Dans l'autre siècle. J'avais 11 ans.
Assis sur ma valise, amarrée tant bien que mal par les crochets métalliques d'un vieux sandow, l'embarcation, sans doute à raison, a dû paraître plutôt scabreuse. Les gendarmes l'ont expliqué à mon père. Dans un geste d'une grande mansuétude, ils n'ont pas verbalisé les deux délinquants, le père et son fils. Se sont contentés de faire stopper une voiture qui venait d'Amiens et qui, chance, devait aller jusqu'à Warloy-Baillon, en passant par... Contay. Son chauffeur m'a déposé tout au bout de la Grande rue, Place de l'Eglise. J'ai attendu mon père, assis sur ma valise. Il est arrivé un bon quart d'heure après moi. M'a pris dans ses bras. Avant d'éclater d'un bon grand rire sonore, dont aujourd'hui encore, je nous honore. Ensuite, on a pris la direction de la maison, lui, son solex à la main, moi, ma valise en carton.
Les curés m'avaient renvoyé à l'Ecole Primaire de mon village parce qu'à la question "Pensez-vous avoir la vocation ?", j'avais répondu... non.
© Jean-Louis Crimon