La maison sur la gauche, la maison à la façade blanche, c'est ma maison. Disons que j'ai habité cette maison jusqu'à l'âge de 15 ou 16 ans. J'en ai été, avec ma mère, mon père, ma soeur et mon petit frère, locataire. Les maisons ne nous appartiennent pas. Elles nous survivent à nous les humains qui les habitons. Elles continuent à vivre sans nous quand nous les quittons. Pour aller habiter ailleurs. Ou simplement le jour où pour nous, c'est l'heure de partir, comme on disait dans mon village. Partir, c'est à dire mourir.
"Il est parti bien vite", dit-on sans doute encore dans ce village qui fut le mien pour dire de quelqu'un qu'il est mort brutalement. "Papa est parti" avait d'ailleurs dit ma mère pour m'annoncer, au téléphone, la mort de mon père.
Les maisons sont éternelles ou presque. Leurs habitants sont mortels. C'est comme ça. Cette maison se souvient-elle de moi ? Moi, je ne l'ai jamais oubliée. La fenêtre que l'on voit, en haut, à l'étage, dans le coin droit, était la fenêtre unique de la chambre des enfants. C'est de cette fenêtre que je me suis juré un jour, à 7 ou 8 ans, que "quand je serai grand, je serai écrivain". Pour dire la vie des gens de mon village. Pour qu'ils n'aient pas vécu pour rien. Qu'on sache qu'ils ont existé et qu'on se souvienne d'eux pour toujours.
J'ai mis beaucoup de temps à grandir, mais j'ai tenu parole.
© Jean-Louis Crimon