Un jour, c'est sûr; j'irai à Fribourg. J'irai photographier les balayeurs de Fribourg. Pour y croiser peut-être Simonet. Michel Simonet balaie les rues de Fribourg, sa ville, depuis un paquet d'années. L'homme n'est pas un balayeur comme les autres. Une jolie devise pour mot d'ordre quotidien : «Ce que tu fais, fais-le suprêmement.» Pessoa passé par là. Forcément. Force aimant. Simonet aime son métier. C'est sa force.
Dans sa tenue orange fluo, l'ancien étudiant en théologie pousse sa carriole à la rose. Son «rose-air», dit-il, un rien humo-mystique. On l'arrête souvent dans les rues en pente de la ville, parfois pour lui demander une dédicace. Car le balayeur toujours de bonne humeur a publié, il y a trois ans, un très beau premier livre, «Une rose et un balai» (Editions Faim de siècle). Petit bouquin fabuleux, fait de petits rien pour nous aider à ouvrir grand les yeux. Vrai best-seller : 15.000 exemplaires vendus. Pas seulement en Suisse.
Le balayeur pose alors sa longue pince à mégots, adosse au mur sa pelle et son balai pour signer, dans un sourire rare, son récit en prose et en vers, d'un «Balayeur poète fier de... Lettres».
De ses tournées matinales, dans le frais petit matin fribourgeois, Michel Simonet se remémorise, non sans malice, la liste surréaliste des objets perdus ou abandonnés, et ramassés par lui, tout au long d'une année : 17 trousseaux de clefs, 18 porte-monnaies vides, 24 porte-monnaies avec diverses cartes bancaires, 6 téléphones portables, une balance à cannabis, une obligation au porteur de 10.000 francs suisses, rapportée à la Banque, un fouet, 4 soutiens-gorge, 9 pantalons, 5 slips, 3 balles de 9 mm, 65 canettes de bière non décapsulées, 17 pulls et 15 paires de chaussettes, sans oublier, au milieu de la chaussée, un acte notarié, rendu à son notaire. Superbe poème à la Prévert pour ce Doisneau des mots qui succombe sans retenue à la « grâce de l'instant présent ».
Le balayeur n'écrit pas comme un manche. Il balaie les idées reçues. Il a le talent dialectique. Les outils rangés dans la remise, prétention n'est pas de mise. Humour en bras de chemise et coudées franches pour qui se pseudonymise... «Joachim du... Balai».
Oui, vraiment, un jour, j'irai à Fribourg.
© Jean-Louis Crimon
Notes et croquis pour un livre à venir... 2011 - 2018.