- I am very happy to meet you !
- Je parle parfaitement le français, vous savez !
- Of course, I know it perfectly, my dear ! It was just a little typical picard' joke !
Plutôt cash le premier échange avec Douglas Kennedy, en haut de l'escalier de la gare d'Amiens. L'idée de la libraire d'aller l'accueillir à l'arrivée de son train de Paris, pour pouvoir discuter un peu, faire plus ample connaissance, avant l'interview officielle, est restée à quai. Nos humours ne voyageant manifestement pas sur la même longueur d'ondes.
En chemin, de la gare à la librairie, la conversation a repris les rails des banalités d'usage entre une star de l'Edition, à 14 millions d'exemplaires vendus, et un pauvre petit péquin moyen du coin. Douglas Kennedy éprouvant le besoin de me déclarer tout de go que s'il foulait pour la première fois le sol amiénois, il avait déjà trimballé sa carrure de rugbyman dans 64 pays.
Aurais-je dû lui dire que, moi aussi, même si j'avais la fringue et l'allure modeste, j'avais pas mal bourlingué sur la planète ? Maybe ! Mais j'ai très vite compris que celui qui a l'habitude qu'on s'intéresse à lui, n'avait pas le moindre temps à perdre pour parler d'autre chose que de lui, de sa trilogie, de sa Symphonie du hasard. Que son interlocuteur de deux heures maxi, ait pu être jardinier en Suède, journaliste à France Culture, professeur de français en Chine, qu'il ait pu habiter trois ans à Copenhague, dix ans à Paris, six mois à Chengdu, qu'il ait été bouquiniste Quai de la Tournelle, à Paris, qu'il ait, lui aussi, écrit et publié, certes à un niveau beaucoup plus modeste, quatre romans et deux biographies, tout cela n'avait strictement aucun intérêt. J'étais embarqué dans une histoire à sens unique. Je devais être le faire-valoir d'un soir et surtout ne pas quitter mon rôle de faire-valoir. Me borner à être le personnage secondaire qui a pour vocation de mettre en valeur le héros. Tout juste un sparring partner.
J'ai donc fait le job. Ponctuant une interview aux apparences de conversation entre deux bons vieux copains, avec de belles incises incisives comme "écriture du journaliste, écriture de l'écrivain, quelle est, selon vous, la différence de nature entre les deux écritures ?" ou bien : Flaubert aurait dit : "Madame Bovary, c'est moi.", peut-on dire que l'héroïne de La Symphonie du hasard, Alice Burns, c'est vous, Douglas Kennedy ? Ou encore, ou enfin : journaliste, vous l'avez été, seriez-vous d'accord pour dire : A un journaliste, on dit : qu'est-ce que tu as trouvé ? A un écrivain, on demande : qu'est-ce que tu cherches ?
Questions que je pensais assez jolies et très pertinentes, carrément philosophiques, pour ne pas dire métaphysiques, mais questions qui ont laissé de marbre mon interlocuteur.
Vers la fin de l'entretien, Douglas - que j'avais d'entrée crédité d'un génial "C'est doux et ça glace, c'est Douglas ! "- m'a gentiment taclé devant son "femmes-club" - alors que je venais de faire l'éloge de son fantastique "Piège nuptial" - en me reprochant de ne pas avoir lu son opus de fin 2016 intitulé " Toutes ces grandes questions sans réponse ". Pour le fun et pour le plaisir de la joke, je lui ai répliqué :
- Mais vous, cher Douglas, avez-vous lu Verlaine avant-centre ? avez-vous lu Rue du Pré aux chevaux ? avez-vous lu Oublie pas 36 ? avez-vous lu Du côté de chez Shuang ?
- Non ! 4 - 0 pour moi, Douglas, balle au centre.
Passing-shot superflu puisque Douglas Kennedy, dans un demi-sourire faussement attristé, me fait comprendre qu'il est temps de signer la fin de la partie, pour passer, enfin, aux choses sérieuse, c'est à dire aux… signatures. Temps béni de la dédicace avant que le grand écrivain ne se casse.
Voilà, voici, le récit d'une rencontre annoncée et bien tenue, mais aussi d'une rencontre qui n'a pas eu lieu. Pour une rencontre, une "vraie" rencontre, pour qu'une rencontre ait lieu, vraiment lieu, il faut être… deux.
© Jean-Louis Crimon