Tu as 7 ans et tu l'aimes ta maison. Tendrement. Comme une personne. Tu la trouves belle. Sa forme. Son apparence. Sa structure. Ses fenêtres. Sa petite porte d'entrée. Légèrement décentrée. Tu la trouves belle, ta maison. Pourtant, il n'y a pas l'eau courante. Seulement une pompe dans la cour. Des murs en torchis et un grenier en terre battue. Un couloir étroit. La quitter, quitter le village, quitter la vallée de l'Hallue pour une autre vallée, la vallée de l'Ancre, fut un véritable arrachement. Mais tu n'as rien montré. Rien montré à ton père, rien montré à ta mère, rien montré à ta sœur et rien montré à ton petit frère. Tu t'es seulement juré, l'année de tes 14 ans, l'année du déménagement, qu'un jour, tu écrirais. Tu écrirais pour que ta maison soit éternellement la vôtre. Qu'elle soit éternelle. De cette belle éternité éphémère des romans.
Souvent, simplement en fermant les yeux, tu la revois. Tu la redessines. Précisément. Tu es à nouveau devant chez toi, mais ce n'est plus chez toi. La maison n'est plus ta maison. Tu te retrouves face à tes 7 ans, mais plus de 60 ans de temps humain se sont écoulés. Parfois, au cours d'un trajet en voiture avec des amis, tu demandes à t'arrêter dans ton village. Pour dire bonjour aux gens que tu as connus et tu t'étonnes à peine d'être dans la peau d'un vieux monsieur à qui l'on dit "vous". Tu n'oses pas dire pourquoi, dans ton coeur, tu habites toujours cette maison. Ses nouveaux habitants ne comprendraient pas. Te trouveraient bizarre. Elle n'est plus ta maison. Tu dois te faire une raison. Elle ne sera jamais plus ta maison.
Vraiment étrange, à chaque fois, en partant, en tournant le regard, en tournant les talons, tu as la curieuse sensation que la maison, ta maison, te regarde t'éloigner. Qu'elle te chuchote quelque chose comme... alors, tu m'abandonnes encore.
© Jean-Louis Crimon