Je ne sais pas pourquoi l'ami Grardel a tenu à me peindre entre deux képis en tenue. Scène insolite. A deux pas, sur son scooter, s'échappe le camarade Lacoche, embarquant une énième conquête. M'abandonne à mon destin de menu fretin. Mais qu'ai-je à voir avec les deux blondes ? Celle qui s'installe au volant, ou qui sort de la voiture, et celle de dos, légèrement cambrée qui tutoie un renard ou un loup, - il y a beaucoup de loups et de renards, le soir, dans le quartier Saint-Leu. Leu, en picard, c'est loup en français. D'ailleurs, Lafleur est tout près. On reconnait sa bonne trogne et son chapeau caractéristique.
La scène se déroule Place du Don, juste en face des As du Don. Je m'accroche machinalement à mon écharpe mauve, comme si j'étais vraiment en état d'arrestation. Qu'ai-je donc fait pour me retrouver dans cette galère ? Ou bien, est-ce un film que l'on tourne ? Suis-je l'un des acteurs des nuits amiénoises ?
Même s'il semble faire beau dans le tableau, je crois que je repense à mon Je me souviens d'Amiens n° 193 : "Je me souviens du ciel ardoise qui tutoie les toits qu'il toise, les soirs de pluie narquoise, on ne cherche pas noise à la pluie amiénoise."
Curieuse séquence d'un bien étrange tableau, - de plusieurs mètres de long -, m'a assuré Grardel, et dont la photo, offerte par lui, ne révèle que la scène centrale.
Je me souviens d'Amiens, Castor Astral. Mai 2017. Page 61.