"L'âne, ça lui va bien !" L'ont-ils vraiment dit ? Ou l'ai-je simplement lu dans leurs yeux ? Déchiffré sur leurs lèvres muettes ? Aujourd'hui, peu importe. M'ont mis à la porte. M'ont renvoyé dans mon village. Me recommandant, d'un bon métier manuel, l'apprentissage.
De passer pour un âne, dois-je l'avouer encore aujourd'hui, oui, ça m'a fait... braire. Que le Père supérieur de l'honorable institution n'ait pas perçu chez moi cette intelligence particulière qui allait être mienne, m'a vraiment déçu. En silence, à leur insu, à la messe, au moment du pater noster, moi, je récitai "L'âne si doux". J'avais l'âme rieuse et l'esprit malin. Sûr que Dieu, s'il existe, devait trouver ça bien.
" J'aime l'âne si doux
marchant le long des houx.
Il prend garde aux abeilles
et bouge ses oreilles;
et porte les pauvres
et des sacs remplis d'orge
.
Il va près des fossés,
d'un petit pas cassé.
Mon amie le croit bête
parce qu'il est poète.
...
Il a fait son devoir
du matin jusqu'au soir.
Il a tant travaillé
que ça vous fait pitié.
L'âne n'a pas eu d'orge
car le maître est trop pauvre.
Il a sucé la corde
puis a dormi dans l'ombre...
Il est l'âne si doux
marchant le long des houx."
Francis Jammes (1868-1938)