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Habiter aujourd'hui la rue près de l'église, ça n'a sans doute rien à voir avec ce que ça devait être à la fin des années 1800 et au début des années 1900. Plusieurs rues se croisent à hauteur de l'église. Difficile de dire quelle était ta rue. Il faudrait reprendre un plan de la commune au moment de ta naissance pour essayer de localiser précisément l'emplacement de la maison des Zanda. Je me dois de faire ça en septembre prochain. Quand je viendrai mettre vraiment mes pas dans tes pas, Monsieur Francesco Zanda. Quand j'essaierai de prendre les chemins creux comme les caillouteux, quand j'essaierai de refaire les trajets à travers la montagne ou par la route jusqu'à la mine de Buggerru. Je me dois de faire ça. En mémoire de ce que tu as dû vivre toi. Pour essayer de sentir, de ressentir, de comprendre ce qu'a dû être ta vie. Pour la restituer à défaut de pouvoir la justifier. "Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie", répétait sans cesse, sans citer Malraux, ta fille, Juliette, ma mère, qui ne s'appela jamais Zanda. Un jour, je te dirai pourquoi.
Mais avant, me faut m'imprégner de cette terre et de cette vie qui furent ta terre et ta vie. A quoi servirait d'écrire si ce n'était pour ressusciter des morts et les rendre à tout jamais plus vivants que de leur vivant ? Pour qu'ils n'aient pas vécu pour rien, justement.
Francesco Zanda, mon grand-père inconnu, inconnu jusque dans la mort, puisque tu n'as, en Sardaigne ou en France, même pas de tombe à ton nom, je me dois de faire ça pour toi. Je le ferai. Foi de Sarde, mâtiné de naissance Picarde.
Mâtiné, pour ceux qui ne sauraient pas, se dit d’un animal qui a perdu une partie de sa race. Les chiens mâtinés sont parfois bons à la chasse. Je veux être un bon chasseur. Pour toi, mon grand-père... chassé. Chassé, pourchassé, par la police et les milices Mussoliniennes.
© Jean-Louis Crimon