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Dans la vie, comme tout le monde, j'ai eu droit à deux grands-pères. Un grand-père du côté de mon père, le père de mon père. Un grand-père du côté de ma mère, le père de ma mère. Un grand-père Crimon. Un grand-père Zanda. Grand-père Crimon que je n'ai pas connu, mort des suites du gaz moutarde qui lui a brûlé les poumons pendant la guerre. Grand-père Zanda que je n'ai pas connu, mort à la mine. Grand-père Crimon, prénom Adrien, mort en 1922, l'année où est né mon père. Grand-père Zanda, prénom Francesco, mort en 1928, l'année où est née ma mère.
Pour l'enfant que j'étais, la symétrie des destins voulait dire que c'était normal que les grands-pères meurent très tôt. Meurent l'année même de la naissance de leur premier enfant. J'ai dû vivre au moins dix ans sur cette vérité-là. C'est seulement quand j'ai réalisé que les autres avaient toujours leurs deux grands-pères que j'ai compris l'injuste cruauté des destins.
Ce jour-là, je me suis juré de bien apprendre à écrire. A écrire comme un écrivain. Juré aussi de ne jamais oublier ma promesse. Dur durable désir d'écrire. Pour dire la vie de ceux que la mort a pris trop tôt. C'est pour ça que je me dois maintenant d'écrire la vie de mon grand-père Sarde Francesco Zanda.
© Jean-Louis Crimon