Société civile de Joudreville. Archives nationales du Monde du Travail. Roubaix. 13 Juin 17. © Crimon
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Au fond, ce n'était pas nécessaire d'aller à Roubaix. Echec sur toute la ligne. Rien sur les mineurs. Sur la vie des mineurs. Rien sur Francesco Zanda, ce grand-père inconnu, plus inconnu que jamais. Une bonne raison : journaux comptables ou comptes-rendus de Conseils d'Administration n'évoquent jamais le monde des ouvriers. Fallait s'y attendre. Sont même d'une sécheresse humaine rare tous ces documents comptables ou administratifs. Pourtant, parfois, entre les rubriques, semblent filtrer quelques lignes où l'on devine un début de sentiment humain, immédiatement converti en chiffres et en francs.
Exemple, à la rubrique "Cités" : Le nombre des ouvriers en attente d'un logement est toujours de 25 à 30. On se demande d'ailleurs pourquoi ce n'est pas un nombre précis qui est indiqué.
Autre exemple, à la rubrique "Constructions de Logements", on lit : Monsieur le Directeur de la Société propose d'entreprendre la construction d'une quinzaine de maisons d'ouvriers, à 4 logements, devant coûter de 30 à 35.000 francs par logement. En dessous, la mention : "Le Conseil approuve".
A la rubrique "Ecole Primaire Supérieure de Briey", on peut lire ceci : Mr le Directeur de la Société donne connaissance au Conseil d'une lettre adressée au Directeur de la Mine par le Docteur Stern, au nom du Conseil Municipal de Briey, pour solliciter une subvention en vue de l'achèvement de l'Ecole Primaire Supérieure de cette ville. Après discussion, le Conseil n'est pas d'avis de faire un don à l'Etat pour l'achèvement de cette Ecole; mais il ne serait pas opposé à l'octroi d'un prêt à la Ville de Briey, sous des conditions à définir.
En revanche, à la rubrique "Gratification au Directeur de la Mine", se déguste cette délicieuse information : " Sur proposition de Mr le Directeur de la Société, le Conseil fixe à 45.000 francs la gratification allouée à Mr. Deschanel, pour l'année 1928."
Bien sûr, aucune trace de "gratification" pour Francesco Zanda, simple mineur, pour cette même année 1928. Les ouvriers, les mineurs, ceux qui créent une bonne part de la richesse de l'entreprise, ne sont pas nommés des ces comptes-rendus de Conseil d'Administration. Alors, quant à être "gratifiés"...
La richesse ? Un coup d'œil à la rubrique "Situation financière" :
Au 31 Octobre 1928, la situation était la suivante :
Caisses et Banques : 228.735,79 Frcs
Société de Commentry-Fourchambault et Decazeville : 4.712.990,43 Frcs
Je referme les dossiers des années 1928 et 1929. Je contemple, amer, dans la paume de ma main gauche, les cotes du fonds Société Civile de Joudreville : 102 A Q. Trois chiffres et deux lettres qui se révèlent être une impasse. Dans les archives microfilmées, rien sur le personnel. Rien sur les mineurs. Les procès-verbaux des réunions du Conseil d'Administration sont d'une rare avarice en ce qui concerne ce qui ne s'écrit pas en tonnes de minerais ou en francs. Procès verbaux qui, forcément, n'ont pas gardé trace des accidents à la mine. De l'accident du 2 août 1928.
Une raison sans doute à cela, sous la forme d'une petite note, en bas de page : 1/ Certains documents ont été retirés des dossiers sur la demande de la Société.
No comment.
© Jean-Louis Crimon