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C'est demain le grand jour. Le jour où je vais à Roubaix. Le jour où les microfilms des archives Nationales du Monde du Travail vont enfin - je l'espère vraiment- me révéler une part de la vérité. Cette part de vérité qui a dû s'écrire à Joudreville, Meurthe-et-Moselle, à la fin des années 20. 1920. Joudreville, près de Bouligny, de Piennes et de Briey. Mine de fer. Là où trois frères, Mario, Vincenzo et Francesco Zanda, se sont un jour fait embaucher. D'abord Francesco Zanda, l'aîné, avant ses deux frères cadets, Vincenzo et Mario. Francesco Zanda, toi, mon grand-père inconnu. Toi dont je ne sais presque rien. Juste une date et un lieu de naissance. 8 Mars 1896, Fluminimaggiore. Sardaigne.
Rien d'autre, sinon que tu serais mort en France, le jour de la naissance de ta fille. Ma mère. Ma mère qui ne s'appela jamais Zanda.
A Roubaix, le Bâtiment des Archives Nationales du Monde du Travail se trouve au 78, Boulevard du Général Leclerc. Ouvert au public de 9 heures à 17 heures, du mardi au vendredi. Pour aller à Roubaix, d'Amiens, - je te vois sourire - ça prend plus de temps que pour faire Beauvais-Cagliari, en avion. Train Amiens : 8 heures 38, arrivée à Lille 9 heures 58. Trois quarts d'heure d'attente à Lille pour un autocar qui part à 10 heures 41 de Lille et qui arrive à Roubaix à 11 heures. Durée de l'expédition : deux heures vingt. Beauvais - Cagliari, avec Ryanair : décollage 12 heures 45, atterrissage : 14 heures 55. Durée du vol : deux heures dix.
Je vais noter dans la paume de ma main gauche les cotes du fonds Société Civile de Joudreville : 102 A Q. Dans les archives microfilmées, pas sûr de trouver les listes du personnel. Surtout des procès-verbaux de réunions du Conseil d'Administration. Procès verbaux qui pourraient avoir gardé trace des accidents à la mine. Par exemple, de l'accident du 2 août 1928. Le jour où tu es mort, Francesco Zanda. Le jour où ma mère est née. Mais de cet accident, pour l'instant, aucune trace.
Malgré tout, les archives de la Mine de fer de Joudreville, j'y crois. Je veux y croire. J'y crois dur comme fer.
© Jean-Louis Crimon