En fait, Grand-père Zanda, grand cachotier, tu as aussi eu un fils. Ton fils. Je viens d'en découvrir l'existence, d'une façon tout à fait fortuite. Un bel article en page 4 de L'Est Républicain, en date du mercredi 2 novembre 1932. La relation d'un fait-divers. Un fait-divers qui, pour une fois, ne fait pas diversion. Bien au contraire. La vérité sort de la bouche des enfants. D'un petit enfant de trois ans qui travers la rue imprudemment. Un jour de l'année 1932. Un mercredi de début novembre.
Quatre-vingt cinq ans plus tard, un jour de l'an 2017, par pur hasard, la vérité éclate. Zanda a eu un fils. Après sa fille Juliette, conçue avec Berthe Leloup. Un fils prénommé François, comme son père, François Zanda. Conçu avec une autre mère, Jeanne Bourgeois. Né en 1929, juste après ta fille, Juliette, née en 1928. Un fils qui devait être un petit gamin très turbulent, sinon très imprudent. Mais lisons d'abord le bel article dont François Zanda, garçonnet de 3 ans, est le héros.
" Un enfant est renversé par une auto. — La semaine dernière, un automobiliste se dirigeant vers Murvilie, arrivait à proximité des premières cités de Bonviilers, quand il aperçut plusieurs enfants qui jouaient sur le côté droit de la route, sens de la marche, et un troupeau d'oies qui tenait la gauche ; quelques mètres plus loin, un deuxième troupeau venait à droite. L'automobiliste,afin de prévenir les enfants de son approche, actionna son appareil avertisseur et prit légèrement sa gauche pour les doubler. Au moment où il passait à la hauteur du groupe formé par les bambins, l'un d'eux, un garçonnet de 3 ans, le petit Zanda François, traversa la chaussée en courant et un deuxième suivit. Ne pouvant passer derrière le premier, par crainte de heurter le second, le conducteur donna un brusque coup de volant à gauche et les deux roues avant de sa voiture allèrent tout doucement dans le fossé ; à ce moment, il ressentit un léger choc provenant de la droite du véhicule et s'arrêta aussitôt. Descendant immédiatement, il se porta au secours de l'enfant Zanda. qui avait dû être touché par le marchepied, et le releva ; l'enfant fut ensuite emmené au domicile de la personne qui le garde. L'automobiliste fit appeler un docteur et, en attendant son arrivée, l'enfant fut soigné par l'infirmier de la mine de Murvilie. Le petit blessé porte des contusions multiples sur les deux jambes et une large plaie à la tête ; le docteur a jugé son état sans gravité, sauf complications. Grâce à la prudence et à l'allure modérée à laquelle roulait l'automobiliste, cet accident n'aura aucune suite fâcheuse ; mais il serait utile que les mamans surveillent de plus près leurs enfants, surtout les tout petits."
En fait, grand-père Zanda, toi qui as reconnu ton fils, François, et laissé à ta fille, ma mère, le statut ingrat d'enfant naturelle, pour ne pas dire -horrible expression- d'enfant "illégitime", de bâtarde, jusqu'à ce qu'un aure Italien, Francesco Filippin, la légitime en épousant Berthe Leloup, toi qui as abandonné ta fille Sarde, Maria, et ne l'a jamais revue, ni sa mère, peut-être que tu n'aimais pas les filles, même si tu adorais les femmes, leurs mères... Surtout leurs mères. Auxquelles tu faisais, une fois par an, le cadeau d'un enfant. Trois femmes, trois mères, une Sarde et deux Françaises. Trois enfants, deux filles et un garçon.
Francesco Zanda avait un fils, appelé François Zanda. Juliette, ma mère, n'a jamais su qu'elle avait un demi-frère. Reconnu, lui, tout à fait officiellement, par son père. Juliette n'eut pas cet honneur-là.
La vérité sort de la bouche des enfants. Quand ils traversent la rue imprudemment et qu'ils se retrouvent dans la page des faits-divers. Mémoire de papier journal. Pas banal.
© Jean-Louis Crimon