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11 janvier 2017 3 11 /01 /janvier /2017 00:11
Amiens. Janvier 2017. © Jean-Louis Crimon

Amiens. Janvier 2017. © Jean-Louis Crimon

 

 

                                                                          81

Je me souviens d'une main de femme qui cogne une porte en bois. Elle porte une jolie bague au doigt. Au majeur, je crois. Pas très loin de Notre-Dame.

                                                                          82

Je me souviens des monnaies de Magnence, Empereur romain, né à Amiens, qu'on appelle alors Ambianum, la ville des Ambianis. Monnaies au revers chrismé, entre l'alpha et l'oméga. Ces monnaies sont signées d'un superbe AMB, les trois premières lettres du nom de la cité gallo-romaine, AMBIANUM. Monnaies frappées entre 350 et 353.

                                                                          83

Je me souviens de la délicate posture de l'Ange, assis, pied gauche en avant, main gauche posée sur le sablier de l'existence humaine, main droite soutenant sa tête légèrement inclinée. Le coude appuyé sur le crâne de la mort. Inéluctable destinée humaine. Pensées tristes de l'Ange qui pleure le chanoine Guilain Lucas de Genville, mort en 1628. Le bienfaiteur des enfants bleus et des orphelins.

 
                                                                          84
Je me souviens d'un soir, à la Rédaction du Courrier Picard, et d'une discussion avec Pierre Rappo, à propos de cette région célèbre pour ses macarons, son pâté de canard, sa Cathédrale, ses faits-divers, ses betteraves et ses pommes de terre. Désespoir ultime et fulgurance assassine. J'invente  la définition cruelle de la Picardie : Je suis une betterave qui rêve de voir la mer. Mon ami Pierre en rigole encore.
 
                                                                          85
Je me souviens de Raymond Pronier, secrétaire de rédaction chargé de la DH, la dernière heure, et du bouclage des dernières pages. C'est lui qui, sans me le dire, fait de ma phrase la Une du Aujourd'hui. Encadré traditionnel du Courrier réunissant une mini météo du jour, une recette de cuisine en trois lignes et une citation d'un écrivain célèbre.
 
                                                                          86
Je me souviens de Marcel Proust à la poubelle cette nuit-là, et de "la betterave qui rêve de voir la mer " à la Une... Un scandale qui fait, le lendemain matin, s'étrangler le Rédacteur-en-Chef et s'esclaffer toute la ville.
 
                                                                          87
Je me souviens du soir du 10 Mai 1981 et de la rue de la Préfecture barrée une dernière fois par des forces de l'ordre qui n'ont plus envie de mordre. Crosse en l'air et sourire en bandoulière pour tout argument... Mitterrand Président.
 
                                                                           88
Je me souviens de mon reportage - papier d'ambiance - plein air, pleine rue, plein cadre, et de la chute du papier écrit pour Le Courrier Picard : "Il fait étrangement doux ce soir."
 
                                                                           89
Je me souviens du Lucullus de chez Nasser, en haut de la rue de la République, et de la phrase rituelle des clopeurs, traversant pour acheter leur came chez Froc, le bistrot "facho" d'en face : "On traverse la Méditerranée".
 
                                                                           90
Je me souviens d'Amiens et de sa première Gare Routière, du chemin que je dois faire, à pied, jusqu'au Petit séminaire, en remontant la rue Jules Barni, puis la Chaussée Jules Ferry, jusqu'en haut de Saint-Acheul. Trop lourde ma valise en carton, avec les provisions que ma mère y a cachées entre la paire de draps en lin et mes deux pyjamas en toile rêche.
 

 

 

© Jean-Louis Crimon / Le Castor Astral. 2017.
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commentaires

R
Je compte d'ailleurs utiliser pleinement les dernières pages blanches de votre ouvrage ( belle initiative ces pages blanches laissées à la disposition des lecteurs ) pour y immortaliser d'autres souvenirs, avant qu ils ne s'échappent..Je me souviens très bien de votre nom qui revenait très souvent lorsque mon père nous parlait de ses journées post-travail, c'était dans les années 80; il devait vraiment vous apprécier.<br /> Florence Rappo
R
J'ai lu votre " Je me souviens d'Amiens" avec beaucoup de plaisir, de nostalgie, de mélancolie parfois; merci de rendre hommage à mon papa Pierre Rappo, de l’exhumer au travers de 3 souvenirs, beaucoup de vos souvenirs me parlent, et des noms oubliés, <br /> un grand merci
J
Merci à vous aussi, du fond du cœur. Ces "Je me souviens d'Amiens" ne sont vivants que si chacun, chacune, s'en empare, se les approprie, se les fait siens. De cette façon, les "absents" sont toujours vivants. Ecrire, c'est dire qu'on aime, les gens, les lieux, les jeunes, les vieux, les "absentés", les "partis", les trop tôt "en allés", ceux à qui on n'a pas su ou pas osé dire qu'on les aimait quand on les a croisés. De leur vivant.
N
c est rigolo ce 10 mai 81 fut notre victoire juste ce jour la apres ce fut celle de Mitterrand
B
Bonjour,<br /> je découvre votre blog en faisant une recherche sur Pierre Rappo. En effet, il a écrit un très bel article en 1981 à propos du peintre Pierre Wemaëre (1913-2010). Dans le cadres de mes recherches, je serai intéressée à rentrer en contact avec lui, pourriez vous m'aider ?<br /> très cordialement<br /> Bénédicte Bollaert
J
Malheureusement, je crains que ce ne soit plus possible. Pierre Rappo est mort. Même si, dans ma mémoire, il est toujours vivant.
M
J'adore cette phrase: "Il fait étrangement doux ce soir." Elle me rappelle celle d'Anna de Noailles que j'aime tout particulièrement :" Nous n'aurons plus jamais notre âme de ce soir . "

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