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21 août 2016 7 21 /08 /août /2016 10:07
Amiens. 20 Août 2016. © Jean-Louis Crimon

Amiens. 20 Août 2016. © Jean-Louis Crimon

Cher Amiénois écoeuré,

 

Toi aussi, bien sûr, tu l'as vue cette émission, tu l'as suivie, tu l'as regardée. Voir sa ville sur l'écran, sur le petit écran, c'est souvent déroutant. Cette fois, c'était tout simplement écoeurant. Au-delà des détresses humaines mises en scène dans une sorte d' Oliver Twist colori-frenchisé ou dans un épisode des Misérables du siècle 21, où Cosette essaierait d'aider à remplir un dossier logement. Drôle de vie, drôle de reportage, où les couleurs pastels des façades des petites maisons de Saint-Leu arrivent presque à égayer le sinistre quotidien des désespérés faussement joyeux. Mais pas de Jean Valjean qui émerge dans ce feuilleton sordide où les êtres sont au bord du vide. Les journalistes de M 6 ne seront jamais Dickens ou Hugo. N'auront jamais le prix Albert Londres. Ont sans doute choisi de faire un autre métier.

Inutile d'évoquer ici le concept de déontologie. Le terme est sans doute à remiser aux rayon des vulgarités du siècle dernier. Du spectacle, c'est du spectacle désormais. Fut-ce le spectacle de la misère. De la plus sinistre des misères, celle qui conjugue misère sociale et misère intellectuelle. Détresse absolue qui fait qu'on biberonne très tôt matin et jusqu'au soir, qu'on boit debouts, en marchant, ou accoudés à la passerelle d'un des bras de la Somme, qu'on boit direct au goulot, pour oublier qu'on n'a pas de boulot.

Quelques questions pêle-mêle. Comment peut-on s'approprier l'image et la vie des gens pour en faire pareil document ? Docu menteur plus que documentaire. Où est l'intérêt ? Où est le but ? Où est la logique ? Où est le reportage ? Où s'arrête le REPORTAGE ? Où commence le RAPPORTAGE ? Balancer au service de la répression des fraudes ou aux Impôts les visages et les identités de ceux qui avouent naïvement travailler au black, est-ce du reportage ou de la délation ?  

Comme dirait le vieux Lénine, QUE FAIRE ? Se lever et dire NON ! Tendre la main. Donner la main.

Que des Amiénois se lèvent, non pas pour défendre l'image écornée de leur ville, mais pour venir en aide, vraiment, dans le plus concret de la vie concrète, à ces pauvres êtres humains à la dérive. Oui, que la Téléréalité, pour une fois, incite quelques êtres humains, vraiment humains, à se lever, à dire "non", ça suffit, cette fois, ça suffit. Ce n'est pas de mots, pas de bonnes paroles, dont les plus déshérités d'entre nous ont besoin, c'est d'un toit, d'un travail, d'un salaire, d'un revenu. D'un sens à la vie aussi. D'un sens à leur vie. Le reste, tu t'en tapes, ou tu t'en fous.

Ceux qui sont dans rue ne sont pas dans la rue des Allocs. Ils sont dans la rue tout court. Et s'ils n'y sont pas encore, ils vont y tomber bientôt. La téléréalité, c'est la réalité de la télé, pas la réalité de la vie, de la vraie vie. C'est la vie qui compte, c'est la vie qui importe, c'est la vie qui est importante. Pas l'image qu'on en donne. Pas l'image surfaite que M 6 en donne. Pas l'image télévisuelle.

Tu n'as qu'un seul conseil, une seule recommandation à donner. Eteins la Télé et ouvre... les yeux ! Le coeur, s'il t'en reste un peu.

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commentaires

J
Merci de vos commentaires, Nathalie. Je ne pense pas que mon texte mérite de déclencher autant de critiques. Si vous m'aviez bien lu, c'est surtout une certaine pratique journalistique que je dénonce et la mise en scène du spectacle de la misère. Sans jamais dessiner aucun espoir d'ouverture ou de solution pour les personnes rencontrées au cours de ce long reportage. Pour le reste, c'est vrai, je vous l'avoue, pour moi, photo, écriture ou journalisme, tout est toujours une question de regard.
N
Amiens est une ville morte depuis très longtemps. Le moindre petit commerce qui chercherait à s'y implanter a vocation à mettre la clef sous la porte au terme de six mois. Au manque d'attractivité économique d'une ville, qui n'attire plus que les centres d'appel, s'ajoute l'enclavement du département de la Somme entre ces deux grandes villes que sont Lille et Paris et qui fait d'Amiens un lieu de transit, voire une cité dortoir à la manière de Créteil-Soleil dans les années 70 (post Trente-Glorieuses). Ajoutons, à ce triste tableau, le redécoupage territorial qui promeut ces nouveaux chefs de file que sont les présidents de région, lointains décideurs qui obèrent, à l'échelon local, toute politique sociale de proximité en créant des déserts administratifs puisque, désormais, l'ensemble des services publics, ou presque, est délocalisé sur Lille. Cette recentralisation quasi jacobine, plus qu'une décentralisation effective, non contente de signer la mort des quelques commerces, de bouche notamment mais pas seulement, qui résistaient encore, grâce au pouvoir d'achat des fonctionnaires sur place, aux fermetures massives des commerces de proximité, entérine également la fin d'une politique sociale efficiente : celle qui se fait à l'échelon le plus proche, l'échelon local. Car comment être au coeur des politiques de solidarité lorsque celles-ci se mènent désormais à distance de la population concernée ? A titre d'exemple, la politique du logement, de loin l'une des plus complexes, est considérée comme "à la marge" et souvent contournée par les acteurs locaux. "A la marge", c'est l'expression en vogue, celle qui fait florès chez nos économistes, nos statisticien, comme chez nos politiques. Ainsi la paupérisation est décrétée à la marge sur le plan national et à l'échelle mondiale ... Comment voulez-vous après cela qu'il n'y ait pas de "marginaux" ? Ce sont bien nos choix politiques et économiques qui décident cyniquement de laisser les plus fragiles sur le bord de la route.<br /> <br /> Contrairement à vous, je ne crois pas que le reportage mené à St Leu ait eu une incidence aussi négative que vous semblez le penser. Bien sûr, il expose, voire surexpose, l'intimité d'une "faune"locale filmée en "milieu naturel" à l'instar des documentaires animaliers. Nous sommes également en droit de nous interroger sur l'acuité/pertinence du regard du reporter, sur la fausse neutralité du choix des séquences les plus sordidement "voyeuristes". Mais n'est-ce pas vous, il y a peu, qui me faisiez remarquer que c'est la qualité du regard qui crée la beauté ? Je vous retournerai l'argument : c'est également l'acuité du regard qui sonde, au-delà de ce qui est vu, ce qui est dit en filigrane...Ce que je vois, moi, dans ce reportage, au-delà ou en deçà, peu me chaut, de la volonté du vidéaste, c'est l'absence cruelle de structures de relais propres à prendre en charge économiquement, psychologiquement, médicalement, les "laissés pour compte" du système. C'est la pauvreté du tissu associatif (choix départemental), l'absence ou quasi de lieux de démocratie participative, le désintérêt des acteurs locaux face à la déresponsabilisation des bailleurs sociaux et caetera (liste non exhaustive). Ce que j'y vois encore c'est, au terme des changements successifs de municipalité, la même sclérose et le même "entre soi" qui favorise l'endogamie sociale d'une bourgeoisie de province qui s'active à Paris et se repose chez elle. Rappelez-moi d'où vient Macron déjà (à une lettre près et ça fait Macaron, aucune allusion désobligeante bien sûr ... ;-))<br /> <br /> Je ne reviendrai pas sur l'erreur d'une volonté politique de désindustrialisation, décrétée par nos décideurs depuis les années 70 sans qu'elle soit pour autant inéluctable. Le département de la Somme est sans doute l'un des plus touchés par ce type de choix économique. L'usine, quoi qu'on en dise, permettait à chacun de trouver sa place et de gagner son pain.<br /> <br /> Sur ce, ce sera ma dernière intervention sur votre blog où je me suis perdue par hasard et où j'ai cru comprendre que je n'avais pas le regard "idoine" ;-). De toute façon, c'est la rentrée et j'ai presque hâte de retourner dans ma rue de la Huchette, très crade mais bien vivante, elle !<br /> <br /> Bonne continuation