Cher Amiénois écoeuré,
Toi aussi, bien sûr, tu l'as vue cette émission, tu l'as suivie, tu l'as regardée. Voir sa ville sur l'écran, sur le petit écran, c'est souvent déroutant. Cette fois, c'était tout simplement écoeurant. Au-delà des détresses humaines mises en scène dans une sorte d' Oliver Twist colori-frenchisé ou dans un épisode des Misérables du siècle 21, où Cosette essaierait d'aider à remplir un dossier logement. Drôle de vie, drôle de reportage, où les couleurs pastels des façades des petites maisons de Saint-Leu arrivent presque à égayer le sinistre quotidien des désespérés faussement joyeux. Mais pas de Jean Valjean qui émerge dans ce feuilleton sordide où les êtres sont au bord du vide. Les journalistes de M 6 ne seront jamais Dickens ou Hugo. N'auront jamais le prix Albert Londres. Ont sans doute choisi de faire un autre métier.
Inutile d'évoquer ici le concept de déontologie. Le terme est sans doute à remiser aux rayon des vulgarités du siècle dernier. Du spectacle, c'est du spectacle désormais. Fut-ce le spectacle de la misère. De la plus sinistre des misères, celle qui conjugue misère sociale et misère intellectuelle. Détresse absolue qui fait qu'on biberonne très tôt matin et jusqu'au soir, qu'on boit debouts, en marchant, ou accoudés à la passerelle d'un des bras de la Somme, qu'on boit direct au goulot, pour oublier qu'on n'a pas de boulot.
Quelques questions pêle-mêle. Comment peut-on s'approprier l'image et la vie des gens pour en faire pareil document ? Docu menteur plus que documentaire. Où est l'intérêt ? Où est le but ? Où est la logique ? Où est le reportage ? Où s'arrête le REPORTAGE ? Où commence le RAPPORTAGE ? Balancer au service de la répression des fraudes ou aux Impôts les visages et les identités de ceux qui avouent naïvement travailler au black, est-ce du reportage ou de la délation ?
Comme dirait le vieux Lénine, QUE FAIRE ? Se lever et dire NON ! Tendre la main. Donner la main.
Que des Amiénois se lèvent, non pas pour défendre l'image écornée de leur ville, mais pour venir en aide, vraiment, dans le plus concret de la vie concrète, à ces pauvres êtres humains à la dérive. Oui, que la Téléréalité, pour une fois, incite quelques êtres humains, vraiment humains, à se lever, à dire "non", ça suffit, cette fois, ça suffit. Ce n'est pas de mots, pas de bonnes paroles, dont les plus déshérités d'entre nous ont besoin, c'est d'un toit, d'un travail, d'un salaire, d'un revenu. D'un sens à la vie aussi. D'un sens à leur vie. Le reste, tu t'en tapes, ou tu t'en fous.
Ceux qui sont dans rue ne sont pas dans la rue des Allocs. Ils sont dans la rue tout court. Et s'ils n'y sont pas encore, ils vont y tomber bientôt. La téléréalité, c'est la réalité de la télé, pas la réalité de la vie, de la vraie vie. C'est la vie qui compte, c'est la vie qui importe, c'est la vie qui est importante. Pas l'image qu'on en donne. Pas l'image surfaite que M 6 en donne. Pas l'image télévisuelle.
Tu n'as qu'un seul conseil, une seule recommandation à donner. Eteins la Télé et ouvre... les yeux ! Le coeur, s'il t'en reste un peu.