Cher agnostique résolu,
En ces temps de commémoration unanime, de Verdun à la Bataille de la Somme, tu te dis que les hommes ont la mémoire sélective. Cahiers spéciaux en pagaille pour les morts de la Grande Bataille, ce qui est, bien sûr, tout à fait normal et légitime, mais même pas une demi-page pour Jean-François Lefebvre de la Barre. Dommage. Dommage d'oublier ce genre d'hommage.
Dans son édition du Lundi 4 Juillet, page 10, Le Courrier Picard publie une simple petite brève et une mini photo du Monument élevé par le Prolétariat à l'Emancipation intégrale de la Pensée humaine. La photo est si petite qu'on ne peut pas lire le texte gravé sur le monument érigé en 1907. Un texte qui résonne pourtant comme un slogan. La brève rappelle que le vendredi 1er Juillet, un hommage a été rendu au Chevalier de la Barre pour le 250 ème anniversaire de sa mise à mort. Pas davantage. Rien de plus. Service minimum. Surtout rien qui puisse permettre au lecteur, ou à la lectrice, de comprendre qu'en ces années-là, l'Eglise Catholique, pour mener à Dieu, n'avait rien à envier aux méthodes des Barbares de Daesh ou du pseudo Etat Islamique.
Impossible de comprendre cela avec une simple brève et une mini photo. Texte et contexte. Fondamental. Sinon, c'est du Zapping, pas de l'Info.
Il y a bien 35 ans, c'est une page entière que le Journal régional consacrait au Chevalier de la Barre. Tu en sais quelque chose, la page, c'est toi qui l'avais écrite et qui la signais. Tu citais largement Voltaire qui avait pris, tardivement, la défense du jeune Abbevillois. Tu parlais de Lourdelle, André Lourdelle, un cheminot pacifiste et anarchiste, militant de la Libre pensée. C'était un autre temps, une autre époque.
Dans son article « Torture » de l'édition de 1769 du Dictionnaire philosophique, Voltaire fait le récit du martyre du chevalier de La Barre :
« Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils d'un lieutenant général des armées, jeune homme de beaucoup d'esprit et d'une grande espérance, mais ayant toute l'étourderie d'une jeunesse effrénée, fut convaincu d'avoir chanté des chansons impies, et même d'avoir passé devant une procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, les juges d'Abbeville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent, non seulement qu'on lui arrachât la langue, qu'on lui coupât la main, et qu'on brûlât son corps à petit feu ; mais ils l'appliquèrent encore à la torture pour savoir combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vues passer, le chapeau sur la tête. »
Dans ton papier, tu devais dire -année du patrimoine obligeait - que nos pères ne nous avaient pas légué que de vieilles pierres, mais aussi des idées. Tu pourrais écrire la même chose aujourd'hui. Enfin, si cela était possible. Manifestement, ça ne doit plus l'être.