Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
3 juin 2016 5 03 /06 /juin /2016 00:01
Une salamandre. Illustration du XIVe siècle.

Une salamandre. Illustration du XIVe siècle.

 

Tu ne sais plus quand

Précisément

Vient le temps

Où l'on descend

A la cave...

 

Là, dans un coin,

Le plus sombre,

Tu le sais, tu le sens,

Il y a des êtres étranges,

Qui te font peur depuis longtemps...

 

Une armée de Lilliputiens

Prêts pour l'attaque

Des enfants de géants,

Sans que tu saches vraiment

Depuis combien de temps dure cette guerre souterraine...

 

Des tiges aux pointes bleues et vertes,

Parfois violettes,

Qui te caressent et te menacent

Le bas des jambes,

Si tu passes trop près... 

 

Tiges si curieuses au toucher,

Comme des herbes à la fois liquides et rigides

D'un talus imaginaire qui descendrait vers la rivière,

Mais en contrebas, pas d'eau, pas de rivière,

Juste un radeau de pommes de terre...

 

Un bateau naufragé

Echoué

Sur le sable de la cave,

Et toi, tu dois organiser tes troupes,

Tout mettre en ordre avant de livrer le combat...

 

Tu as peur de ces êtres venus d'ailleurs

Qui entourent de leurs multiples bras tentacules

Chacun de vos tubercules,

Êtres minuscules

Qui grandissent dans le noir

Tournent leurs têtes incrédules

Vers le trou d'air et de lumière du soupirail...

 

Tante Laure pointe alors de sa canne l'immense tas,

Le tas de pommes de terre tout emberlificotées

Dans leurs tiges qui font de la haute voltige,

Elle dit, chaque année sur le même ton tonitruant:

"Allez, au travail, c'est le moment, il faut... DéGERMER ! "

 

Tu n'aimes pas le temps du dégermage,

Sauf pour une raison, une seule, mais c'est un secret.

A chaque fois, ta petite soeur et toi, on vous asseoit

A même le sol, de terre et de sable,

Et commence, comme en cadence

Le temps qui compense l'absence de vacances...

 

C'est jeudi et la Tante dit:

Il n'y a pas d'âge pour le dégermage.

Toi, tu rêves d'un grand voyage,

Mais ton radeau de tubercules, c'est bête,

N'aime pas ce qui germe dans ta tête...

 

A la fin, quand tout prend fin, sous le tas, à l'endroit du tas,

Bousculé, dérangé, déplacé, et reconstitué, juste à côté,

Soudain, tu t'écries: elle est là !

Superbe, gracieuse, étonnante, elle-même étonnée,

Dans sa belle robe noire marbrée de jaune

Avec la peau si douce et si fine de son ventre orange...

 

La Tante s'énerve:

" Ne la touchez pas, c'est la créature du diable,

Laissez là s'enfouir dans le sable ! "

Tu n'en crois rien. Tu la trouves belle, si belle. Trop belle.

En cachette, tu la gardes longtemps au creux de ta main,

Tu caresses longtemps, doucement, la peau de son ventre orange...

 

A tout  jamais, les séances de dégermage, dans la cave de la Tante Laure,

C'est l'or da la peau dorée de ta salamandre adorée,

Salamandre au ventre orange que l'on dérange

Dans son sommeil diurne, sous l'oeil taciturne

De la Tante qui claque d'un coup sec la porte de la cave...

 

Son tas de pommes de terre bien en ordre,

La voilà qui intime l'ordre

De déguerpir, sans même un sourire:

Allez, les chenapans, le dégermage, pour cette année,

C'est terminé, rentrez chez vous !

 

Bien sûr, avant d'obtempérer, sans te faire prendre,

Dernière petite caresse à la petite salamandre,

Avant de la rendre,

A la terre sableuse de la cave,

Tout près du nouveau tas de pommes de terre.

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le blog de crimonjournaldubouquiniste
  • : Journal d'un bouquiniste curieux de tout, spécialiste en rien, rêveur éternel et cracheur de mots, à la manière des cracheurs de feu !
  • Contact

Recherche

Liens