Cher vieil anar,
C'est souvent comme ça. D'un coup, d'un seul, ça te tombe sur la gueule. Tu te sens sec. Vide. Sans idées. Tu te dis que cette fois tu n'as rien à dire, plus rien à dire. Rien à écrire. Rien à exprimer. L'époque te déconcerte. T'agace à un point de non retour. La lassitude et l'écoeurement ont eu raison de toi. De ta faculté d'indignation. De ton pouvoir de révolte.
Tu es sur le point de renoncer. Tu promènes dans la ville étrangement calme une dégaine de milieu de semaine. Un café en terrasse avec une rencontre de hasard. Conversation courtoise. Sans plus. On se salue. Chacun se remet en route. En marche. Vers son manque de destin.
Soudain, ils te font face. Une dizaine à peine. Dans un silence recueilli. Cercueil porté à l'épaule. Enterrement de circonstance. Une jeune femme distribue des faire-parts. Sous un semblant de croix, trois petits paragraphes pour dire ce qui tient en une ligne.
A Notre Démocratie, sacrifiée lâchement à coup de 49-3 par ceux qui devaient la représenter et la protéger.
Plus loin: Nous vous invitons à venir nous rejoindre dans cette marche solennelle pour rendre un dernier hommage à notre chère et tendre DéMOCRATIE.
Insolite cortège. Milieu d'un après-midi d'un milieu de semaine d'un milieu d'année. Quatre jeunes hommes promènent le cercueil de la démocratie défunte. Du Palais d'InJustice vers l'Hôtel de Police, par le Centre ville, en passant au milieu des passants. Indifférents.