Cher citadin frigorifié,
C'est Novembre en Mai. Le grand retour des pluies d'automne. Aux arrêts de bus, le temps qu'il fait redevient le premier sujet de conversation. La UNE de l'actu.
Ces gens qui maugréent, qui pestent, qui protestent, ça t'amuse autant que ça t'étonne. Toi, à tout jamais fils de la campagne, tu sais bien qu'il en faut de l'eau pour les champs et de l'eau pour les jardins. Il faut être crétin comme un citadin pour oublier cette vérité première. Bête comme une citadine pour sortir sans pélerine.
Tu souris, tu compatis, tu t'effaces et tu rentres chez toi. Le doux bruit de la pluie sur la vérenda, tu trouves ça beau et bon. Tu relis ce poème écrit il y a bien 45 ans, au temps où tu étais étudiant, vivant dans ta chambre universitaire de 9 m2. Bailly. Bâtiment B. Chambre 377. Déjà le gris envahissait la ville...
Par ma fenêtre je ne vois que du gris
Du gris de ciel
Que cache par endroits du gris de murs
Du gris de murs
Où se profile parfois du gris de grues
Du gris de grues
Pour peindre encore du gris de murs
Et tout en bas
Du gris de gens qui passent
Et taches grises sur gris de rues s'effacent
Par ma fenêtre je ne vois que du gris
Du gris de ciel
Du gris de murs
Du gris de gens
Du gris de rues
Du gris de grues
Du gris de gris
Du gris de gris dans le gris du brouillard
Et le matin a l'air d'être déjà le soir.
" Et le matin a l'air d'être déjà le soir ", tu n'étais pas peu fier de cette trouvaille. Aujourd'hui encore, tu la trouves bien belle cette manière de dire la grisaille du matin. On ne naît pas poète, on le devient.