Cher... cracheur de mots,
C'était il y a 5 ans. Mai pour Mai. Mois pour mois. Mai 2011. Tu viens d'arriver sur le quai. Tu réalises la richesse du poste d'observation qui est désormais le tien. Tu ne veux pas laisser s'évanouir tous ces instants qui composent désormais ton quotidien. Tu décides de te créer un blog. Outil que tu ne maîtrises pas spécialement. Mais tu as vraiment envie d'apprendre.
La demande est simple. "Décrivez votre blog en quelques mots". C'est précis: 500 caractères maxi. Tu n'as jamais su bien répondre à ce genre de demande. Ecrire sur soi n'est pas évident pour toi. Ecrire sur toi, tu préfères laisser ça à d'autres que toi. Mais bon, en même temps, faut comprendre, c'est comme lorsqu'on vous demande de décliner votre identité. Poète, vos papiers avait anticipé, il y a bien longtemps, Léo Ferré.
Au bout d'un mois, tu t'es dit qu'il fallait bien te résoudre à parler de toi. D'autant que ton "hébergeur" -on dit comme ça- argumentait parfaitement. La chose avait un but, un objectif, un objet, un projet très convaincant: relever ou augmenter ton niveau de confiance.
Au cas où tu te sentirais complétement perdu devant l'immensité de la tâche, une directive non contraignante indique: présentez le ou les thèmes abordés dans votre blog aux autres internautes.
Tu as donc cédé et concédé. Le résultat tient en une vingtaine de mots. Moins de 200 signes, ponctuation et espaces compris. Tu trouves ça plutôt bien:
Journal d'un bouquiniste, curieux de tout, spécialiste en rien, rêveur éternel et cracheur de mots, à la manière des cracheurs de feu.
Rien de moins. Rien de mieux. Bon, c'est vrai, au risque de passer pour prétentieux, tu aurais pu ajouter l'incroyable étendue de ton curriculum vitae. Que vient justement d'exiger ta caisse de retraite. Décliner à la Prévert, en fausses rimes ou en vrais vers: bouquiniste depuis peu, moins d'un an, qui dit mieux ? Egrèner la longue litanie des avanies et des arguties d'une vie sociale réussie. En tout cas bien remplie.
Ex-journaliste, de presse écrite d'abord, puis encore de France Inter, France Info, France Musique, de France Culture, ex-homme de radio, mais pas ex abrupto, ex-prof de philo, mais pas ex nihilo, ex-prof de Fac, ex-abonné de la FNAC, ex-jardinier, ex-laveur de pierres, pierres tombales des cimetières militaires, ex-manutentionnaire, ex-OS, Ouvrier Spécialisé, pas vraiment spécialisé, mais vraiment ouvrier, ex-employé de bureau, ex-aide métreur, ex-aide comptable, ex-rimailleur qui, de bon coeur, troquerait bien François Fillon contre François Villon, ex-auto stoppeur qui dormait dans les fossés d'autoroutes, au réveil toujours un peu cassé, mais pas fracassé, ex-ramasseur de racines, de chiendent ou de liserons, ex-ex-ex-ex-ex... etc...
et terminer cette trop longue liste en "ex" qui mène à bouquiniste par le seul "ex" qui ne soit pas "ex", ne sera jamais dans la famille des autres "ex". Cet "ex" forcément toujours d'actu ! Avec qui tu es "à toi et à tu", tu veux dire: ex... libris !
Pas mal, non ? Mais pas de regrets, cette trop longue tirade, ça ex-plosait la consigne des 500 signes ! Alors, tu as renoncé. Renoncé à entrer dans le détail. La pub de la vente au détail ne fait pas de détails.
En fait, tu regrettes seulement de ne pas avoir pris la peine et le temps d'ajouter cette petite précision:
Bouquiniste débutant, passé, en moins d'un an, de "Rédacteur en chef de la nuit", ton plus beau titre, à "Libraire de plein air", ton plus ancien rêve et ton dernier rôle social.