Cher grand romantique égaré dans un siècle beaucoup trop matérialiste,
Tu le sais bien, il y a des jours comme ça, des jours où le quotidien t'agace. Où tout te lasse. Où tu trouves la vie dégueulasse.
Ton remède: relire quelques pages de ton Journal du Bouquiniste. Petites chroniques quotidiennes du temps où tu étais sur le quai. Bouquiniste parmi les bouquinistes. Tiens, par hasard et par exemple, à la date du 23 Septembre 2012. Pas si mal ce que tu écrivais en ce temps-là. Dommage que Le Castor Astral, ton Editeur, n'ait pas maintenu son désir de publier ce Journal de l'inattendu.
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
" Souvent, le soir, des filles superbes traversent le quai, comme un seul homme. Non pas au pas de course, mais c'est tout comme. A grandes enjambées. Comme dans un défilé de mode. On les regarde à la dérobée. Dérobée. Mot amusant. De robe, il n'est pas question. Elles sont en pantalon. Ballerines. Chaussures plates. Rarement en talons. Elles marchent, tête droite, vers leur destin du soir. Un resto, un cinoche. Un amoureux, un mec, un blanc-bec. Un fiançé pas trop moche. Un ami, un amant. Elles marchent élégamment.
A peine un coup d'oeil aux façades de livres des libraires de plein air. Pas un regard pour celui qui les regarde passer. Le bouquiniste se demande où s'en vont vraiment, d'un pas si décidé, ces belles à la démarche compassée. D'aussi jolies créatures qu'il aimerait bien faire rimer avec littératures. Non, le pluriel n'est pas singulier.
Elle, ce serait Manon. Manon Lescaut. Elle, la Princesse de Clèves. Elle, Emma Bovary. Elle, la maîtresse de Julien Sorel. Elle, la Dame aux camélias. Tant de femmes. Tant de femmes félines. Tant de femmes coquines. Tant de personnages de roman. Sans oublier celle qui affirme, bien haut, bien fort: Je suis moi-même un personnage de roman. Admirable formule qui fera plus d'une émule. Romantique qui ne se sait pas encore romancière.
Personne sur le quai ne se hasarde à entreprendre ces passantes particulières sur leurs goûts en matière d'écriture. Leurs préférences. Sur les noms de leurs trois écrivains adorés. Sur leurs livres de chevet. Sur le seul poème qu'elles connaissent encore par coeur. Sur le titre du roman qui a changé leur vie.
Certains soirs pourtant, j'en meurs d'envie."
----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
En fait, avec le "je", tu écris - presque - aussi bien... qu'avec le "tu" ! Tu devrais revenir au "je", qu'en penses-tu ?