Cher nostalgique du temps qui passe,
Cet après-midi là, tu n'as guère travaillé. Les promeneurs étaient trop à la promenade. Certains se sont bien attardés à feuilleter sur ton étal, mais sans manifester un grand attrait pour un titre ou pour un auteur. Quelques mots échangés parfois, sans plus.
- Vous chercher un ouvrage en particulier ? Un auteur ? Un titre précis ?
Presque à chaque fois, la réponse est la même: non, rien de précis, je regarde.
Pour relancer, par jeu, tu provoques: "vous savez, c'est classique, quand on cherche, on ne trouve pas", ajoutant, un rien de malice dans la lèvre qui plisse: " et curieusement, quand on ne cherche pas... on trouve !"
La formule amuse. Suscite même quelques commentaires enrichissants. Enrichissants, pour la formule. Mais rien à voir avec la formule de l'enrichissement. Sonnant et trébuchant, s'entend.
A la fin de la journée, juste avant de commencer le rituel de la fermeture et des cadenas qui cadenassent, deux par deux, chacune de tes quatre boîtes vertes, tu prends trois livres, de formats différents, avec des couleurs assez vives en couverture, et, assis sur le parapet, tu agites la main levée sur fond de Seine en contrebas, en chantonnnat, façon camelot qui veut brader sa camelotte: qui les veut, qui les veut... mes beaux bou, mes beaux bou... mes beaux bouquins ?
Sourire amusé des dernières passantes du soir. Mais sans espoir. Désintérêt évident assumé. Pas mieux pour leurs maris ou compagnons. Pas un lecteur qui vive dans cette heure tardive. Personne que ta chanson ne ravive.
Toi, le bouquiniste, tu restes seul sur ta rive, abandonné, désemparé. A la main, ton bouquet de bouquins.