Cher Hortillon des mots,
Tu aimerais glisser, paisible, dans tes parcelles de pensées ou d'idées, rêver à l'infini d'une vie qui ne serait que d'eau. Prendre la barque du destin de bon matin. Mais au soir de ton parcours terrestre, tu te dis que tu ferais mieux de préparer ton obole à Charon, pour payer ton passage.
Charon, ou Caron, fils des Ténèbres et de la Nuit, celui qui, moyennant péage, te fait passer sur le Styx, avec les ombres errantes des défunts. Caron, l'acariâtre. On dit le vieillard qui vous prend à bord de son embarcation peu conciliant. Plus l'heure de discuter le prix du dernier voyage vers le séjour des morts.
Ton bateau à cornet échoué volontairement sur la parcelle de terre, tu ramasses tes mots et tes idées. Le métier est à l'eau. Le métier s'en va à vau-l'eau. Pour éviter que la mémoire ne se perde, tu rassembles les outils et tu te dis qu'il faut faire un musée, le musée des Hortillonnages. Avant qu'il ne soit trop tard.
On raconte que la Cathédrale d'Amiens aurait été construite, au début du XIIIe siècle, sur un champ d'artichauts donné par les maraîchers des hortillonnages. L'histoire est belle, mais ce n'est qu'une légende.
Ces jardins entourés de canaux ne sont pas des jardins comme les autres jardins, avec leurs allées de graviers ou de cendre, que l'on ratisse pour faire beau, le dimanche matin, avant la messe. Ce sont des jardins où les allées sont des allées d'eau où l'on glisse en bateau. Si tu cultives aussi l'étymologie, sache que le mot Hortillonnages vient d'une jolie lignée. Du nom hortillon, terme picard usité dès le XVe siècle et issu du bas latin hortellus, "petit jardin", diminutif du latin hortus, jardin.
N'oublie jamais qu'à Rivery, la rive... rit.
Preuve ?
Les canaux s'appellent des... rieux.