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29 mars 2016 2 29 /03 /mars /2016 00:01
Amiens. 29 mars 2016. © Jean-Louis Crimon

Amiens. 29 mars 2016. © Jean-Louis Crimon

 

Cher poète de 15 ans,

 

C'est le premier livre que tu te sois acheté. Le Brel de chez Seghers. Le bouquiniste qui te le propose aujourd'hui à 5 euros ne sait pas qu'il ravive la flamme du poète inconnu que tu étais dans la salle d'études des internes du Lycée d'une petite ville de province. Collection Poètes d'aujourd'hui. Numéro 119. Année 1964. Dans ta vie, tu as bien dû en acheter quatre ou cinq exemplaires de ce Seghers-là. Prêtés à chaque fois à des amis, des copains, des camarades, mais jamais rendus. Jamais revus. Poète, le terme ne plaisait pas à Brel. Jacques Brel ne se sentait pas poète. N'aimait pas être qualifié de "poète". Chanteur, oui. Poète, non. Il s'en est expliqué à plusieurs reprises tout au long de son parcours de chanteur. "Le poème est fait pour être lu et relu. Un poème n'a pas besoin d'avoir une musique. Il se suffit à lui-même. Moi je ne peux pas écrire de poèmes, je ne sais pas trouver  la sonorité poétique. J'ai besoin d'une note de musique pour faire sonner les mots."

Brassens et Ferré pourtant mettront en musique les poètes. Villon, Paul Fort, Musset, pour le premier, Baudelaire, Verlaine et Rimbaud pour le second. Aragon aussi. En 1973, dans la "radioscopie" qu'un autre "grand Jacques", Jacques Chancel, lui consacre, Brel accepte de reconnaitre que sur les 440 chansons qu'il a alors écrites, il y en a peut-être trois qui peuvent être lues. En particulier Le Plat Pays. Davantage un poème qu'une chanson, concédera Brel au grand Chancel.

De Brel, tu gardes toujours en mémoire, et surtout au fond du coeur, cette incroyable définition du lyrisme, lue dans une interview d'un hebdo dont tu as oublié le nom : "Le lyrisme, c'est chanter tellement fort que si les gens voient pas vot' coeur, ils voient vos dents !"

Poète ou pas, tu t'es alors dit: ce type est épatant.

 

Ce que tu ne dis pas, - ce que tu n'as jamais dit - c'est que Brel, Jacques Brel, un jour, est venu chanter à une cinquantaine de kilomètres de la petite ville où tu étais lycéen. Un déplacement en autocar était organisé pour aller au spectacle, comme on disait alors. Prix du concert, déplacement compris: 5 francs. Un billet de 5 francs. Le 5 francs Victor Hugo. Seul problème: tu n'avais pas l'argent. Tu n'avais pas d'argent. Tu as été l'un des rares à rester à l'Internat, ce soir-là. Tu n'as même pas eu l'idée d'emprunter ces foutus 5 francs à un camarade plus fortuné, à un pion ou à un prof. Tu n'es pas allé écouter chanter Brel.

Le regret de toute une vie.  

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