Mon vieux,
20 ans que François Mitterrand est mort, 20 ans que mon fils François, - à peine 6 ans et 1/2 à l'époque -, m'a posé, au petit-déjeuner de ces deux matins-là, le plus naturellement du monde, deux incroyables questions. Comme chaque matin, depuis notre retour de Copenhague, en août 1995, et mon retour à Radio France Picardie, les levers sont parfaitement synchronisés. Père et fils libèrent très vite la salle de bain du premier étage. Pour faire place aux deux princesses de la maison, mère et fille. Les femmes, c'est connu, ça prend son temps. Davantage de temps. Pendant ce temps-là, dans la cuisine, les hommes s'affairent : café, chocolat, jus d'orange, tartines de pain grillé, miel, confiture, que tout soit prêt quand les deux princesses descendent.
La radio est allumée et les deux hommes écoutent les infos. Une seule information domine et écrase toutes les autres ce matin du 8 janvier 1996 : la mort du Président Mitterrand. Avec cette précaution d'usage qui le caractérise quand il pressent quelque chose d'important, mon fils pose sa tasse de chocolat chaud et me dit :
- Pap', je peux te poser une question ?
- Bien sûr, François, je t'écoute !
- Les autres planètes, elles le savent que le Président, il est mort ?
Question déconcertante pour le père comme pour l'homme de radio. Sans rien laisser paraître de ma surprise, j'improvise :
- Tu sais, François, les ondes ça voyage et ça fait facilement le tour de la Terre, alors, ailleurs, s'il y a d'autres habitants sur d'autres planètes, c'est possible qu'ils puissent aussi capter nos informations. On ne peut pas en être certains, mais on ne peut pas l'exclure.
Le lendemain matin, même heure de lever, même rituel, avec la même délicatesse que la veille, mon fils redit : Pap', j'peux encore te poser une question ? :
Moi : oui, bien sûr, François !
- Est-ce que le Président, lui, il le sait qu'il est mort ?
J'ai dû marquer un léger temps d'arrêt et j'ai répondu que je ne savais pas. Qu'on ne pouvait pas savoir. Ou alors...
- Quand on sera mort, s'est empressé d'ajouter mon fils de même pas 7 ans, dans un bel éclat de rire d'enfant qui ignore encore tout de ce que les grandes personnes appellent l'âge de raison.
La mort de François Mitterrand, c'est pour toujours, pour moi, ces deux questions de mon fils, François.
Deux incroyables questions à tout jamais gravées dans ma mémoire. Deux incroyables questions qui, sûr, auraient beaucoup plu au Président disparu.