Tu aimes la ville quand les boutiques inventent ou avouent des titres de romans. Tu trouves ça amusant. La ville est un livre ouvert où chacun tourne les pages à sa manière. Les pages ne sont pas numérotées comme dans les livres de papier. L'histoire commence de mille et une façons. Dépend de l'endroit où tu te trouves. Où tu commences ta lecture. Le livre de bitume, de briques et de béton, ce n'est pas embêtant, peut se lire dans tous les sens. L'essentiel est de bien enchaîner le jeu de piste amoureux, si tu épouses les méandres de la ville en amoureux perpétuel. Paraît que tu es orfèvre en la matière. Tu adores passer de "Un jour, ailleurs" à "Cache-Cache", pour t'arrêter devant "Juste un baiser" et terminer la lecture de ton roman citadin devant "Du pareil au même".
Simple: la ville est ton roman préféré. Tu ne tournes pas les pages avec la main, mais tu les parcours avec les pieds. Le temps passe vite, de semelle en semelle. On ne voit pas le temps passer quand on l'égrène à pied. Toi, tu prends ton pied. Faut avoir "bon pied, bon oeil", et surtout savoir lire la ville. Chausser de bonnes lunettes. La beauté est dans l'oeil de celui qui regarde. Citation généralement attribuée à Oscar Wilde, même si question déjà d'actualité dans les débats philosophiques de la Grèce Antique : La beauté est-elle dans le regard ou dans la chose regardée ?
Tu rêves de partager cette idée avec tous les citadins que tu rencontres. Au hasard de tes déambulations. Mais, la plupart du temps, la passante ou le passant trouve ton propos par trop déroutant. Tu renonces à expliquer au policier municipal que tu t'appelles Socrate et que la Place Gambetta est ton Agora. On leur a dit qu'un type bizarre posait aux gens des questions stupides.
Pas d'Agora chez les agoraphobes.
Ah ! Insensé qui crois que je ne suis pas toi ! Victor Hugo. Les Contemplations. (1856)
Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère. Charles Baudelaire. Les Fleurs du Mal. (1857)