Je me demande bien pourquoi l'ami Grardel a tenu à me représenter entre deux képis en tenue. Scène insolite. A deux pas, sur son scooter, s'échappe le camarade Lacoche, embarquant une énième conquête. M'abandonne sans vergogne à mon destin de menu fretin. Mais qu'ai-je à voir avec les deux blondes ? Celle qui s'installe au volant, ou qui sort de la voiture, et celle de dos, légèrement cambrée qui tutoie un renard ou un loup, - il y a beaucoup de loups et de renards, les soirs d'été, dans le quartier Saint-Leu. Leu, en picard, c'est loup en français. D'ailleurs, Lafleur est tout près. On reconnait sa bonne trogne et son chapeau caractéristique.
La scène se déroule Place du Don, juste en face des As du Don. Je m'accroche machinalement à mon écharpe mauve, comme si j'étais vraiment en état d'arrestation. Qu'ai-je donc fait pour me retrouver dans cette galère ? Ou bien, est-ce un film que l'on tourne ? Suis-je l'un des acteurs des nuits amiénoises ?
Même s'il fait beau dans le tableau, je repense à mon Je me souviens d'Amiens, publié au Castor Astral en Mai 2017, et à ce souvenir n° 193, page 61 : "Je me souviens du ciel ardoise qui tutoie les toits qu'il toise, les soirs de pluie narquoise, on ne cherche pas noise à la pluie amiénoise." A cet autre aussi de la page 79 : "Je bade, je blues, je suis le roi de la lose, de ma vie, ma mort n'est pas jalouse."
Curieuse séquence d'un bien étrange tableau, - de plus d'un mètre de long -, m'a assuré Grardel, et dont la photo, offerte par lui, ne révèle que la scène centrale.
Ma pomme, au centre de la toile. Génial ! Grandiose ! Surtout pour ceux qui ne peuvent pas... me voir en peinture !
© Jean-Louis Crimon
Première parution : 11 Mai 2018.