Tu la trouves belle et terrible à la fois la photo du cimetière. Le cadrage. L'angle. La composition. Cette légère contre-plongée. L'accent mis sur les prénoms et les noms. Adrien, Georges, Juliette. Cette photo, elle t'a toujours fasciné. Elle est l'oeuvre de ta mère. Prise au début des années 80. Une fin d'été. Ou plutôt en automne. Peu avant la Toussaint. Chrysanthèmes en pot obligent.
L'attitude de ton père semble tout dire sans rien laisser transparaître, tête légèrement inclinée vers la tombe, empreinte d'une certaine douceur paisible de celui qui sait comment tout cela va finir, mais que la mort n'effraie pas. Il s'agit d'un jour où tes parents sont allés désherber et balayer les feuilles mortes tout autour de la tombe du grand-père, mort en 1922, des suites du gaz ypérite, le gaz moutarde. Une petite rentrée d'argent inattendue a permis à tes parents de faire graver leurs noms et leurs dates de naissance à côté du nom de ton grand-père. Ils en éprouvent une certaine fierté. C'est pour ça que la photo a été prise. Sûrement pour ça. Pour ça qu'ils ont pensé bien faire en te l'envoyant par la poste. Tu ne te souviens plus des mots qui accompagnaient la photo. Peu importe, la force de la photo, la force de cette photo, c'est de dire tout cela, et même davantage, sans avoir le besoin de passer par les mots. La photo est à la fois message et messager.
© Jean-Louis Crimon